Raymond évoquait la mise à l’index, par de furieux dhimmis, de l’historien Sylvain Gouguenheim. Cet historien, professeur à l’ENS-Lyon, a publié au Seuil un ouvrage très intéressant, « Aristote au Mont Saint-Michel » (Seuil, collection L’Univers Historique). L’ire des collabos tient au fait que S. Gouguenheim, sur un ton très modéré et en faisant minutieusement état des faits historiques, montre à l’évidence que le slogan chircao-sarkozyen, très largement partagé par la gauche, de « racines arabo-musulmanes » de la civilisation occidentale est un gigantesque mensonge.
La distorsion officielle de l’Histoire, initiée par l’allemande Sigrid Hunke (1913-1999), dans un livre dont le succès ne s’est jamais démenti et intitulé « Le soleil d’Allah illumine l’occident« , proclame que ce seraient les arabo-musulmans qui auraient « civilisé » le Moyen-Age chrétien, vu comme une époque de ténèbres. Hunke était membre du parti nazi, en bons termes avec Himmler et ayant eu des contacts avec Al-Husseini, grand mufti de Jérusalem. Comme on le voit, la thèse officielle, enseignée, regrettons-le vivement, dans nos manuels scolaires, a pour origine les délires hitlériens. Du reste, Hitler voyait, paraît-il, dans l’islam la religion qui aurait convenu au peuple Allemand. Que nos dhimmis ont de belles origines intellectuelles !
A vrai dire, tout lettré de l’ancienne époque -et j’en fais partie- sait que cette thèse des ténèbres en occident médiéval est une ridicule imposture. Peut-être -du moins est-ce mon hypothèse- tient-elle à un excès de certains courants rationalistes pour qui tout commence avec la Renaissance : « cette époque sentait encore l’infélicité et calamité des Goths« , écrivait Gargantua à Pantagruel. Ou à d’autres qui croient que tout a commencé au « siècle des lumières » et à la Révolution française. Mais, comme il est entendu que « ex-nihilo, nihil« , rien ne venant de rien, il fallait bien expliquer comment tout soudain, avec la révolution copernicienne, l’Occident a pu inventer la science qui est aujourd’hui la sienne. Hunke fournissait la réponse : la science occidentale venait de l’héritage héllénistique via le monde arabo-musulman qui l’aurait enrichi.
Or il me souvient de la lecture, que j’avais faite en 1974, du livre de Le Goff, « La Civilisation de l’Occident Médiéval« . Cet auteur, loin d’être idolâtre du Moyen-Age, signalait toutefois que le monde occidental, après les grandes invasions germaniques, s’intéressait aux écrits grecs. Il citait notamment Boèce (480-524), traducteur d’Aristote (on lui doit la Logica Vetus, partie de la logique d’Aristote), Isidore de Séville (560-636 : la bataille de La Janda date de 711) qui transmit les sept arts libéraux et le vocabulaire de la science grecque, Bède (673-735) qui transmit la théorie des quatre « sens » des textes et orienta le comput écclésiastique vers l’astronomie et la cosmologie. Tout cela longtemps avant que les hordes de Mahomet ne déferlent sur le monde occidental. Nous savions aussi que, grâce à la Reconquista, Tolède ayant été reprise en mai 1085, les lettrés occidentaux eurent accès aux bibliothèques arabo-musulmanes.
S. Gouguenheim apporte un magnifique éclairage sur des faits très généralement ignorés -ou volontairement laissés de côté-, à savoir que le déferlement musulman sur l’empire byzantin a subverti des peuples Araméens de culture héllénistique et de religion chrétienne. Qu’ils aient vécu de Syrie, Irak, Iran, Mésopotamie…, ces peuples parlaient le syriaque, et parmi eux des lettrés avaient traduit les oeuvres grecques qu’ils traduisirent ensuite en arabe pour leurs nouveaux maîtres -les arabes n’ayant pratiquement jamais songé à apprendre le grec (Avicienne ou Averroès, commentateur d’Aristote, en tous cas, ignoraient cette langue). C’est donc par ces chrétiens nestoriens que furent connus d’une toute petite élite arabo-musulmane les oeuvres de Galien, Hippocrate, Ptolémée, Aristote. Sans oublier que nombre de médecins, astronomes… auprès des potentats musulmans étaient des chrétiens. La conclusion, à mon avis indiscutable, de Gouguenheim est : « Pendant plus de trois siècles, du VIIe au Xe siècle, la « science arabo-musulmane » du Dar-El-Islam fut donc en réalité une science grecque par son contenu et son inspiration, syriaque puis arabe par sa langue. La conclusion est claire : l’Orient musulman doit presque tout à l’Occident chrétien. Et c’est cette dette que l’on passe souvent sous silence de nos jours, tant dans le monde musulman que dans le monde occidental« .
En fait, à travers ses trois « renaissances », l’Occident médiéval témoigne une soif de recherche des sources grecques. On ne dispose pas de traductions latines : les Romains s’éduquaient chez les Grecs, parlaient donc cette langue. Mais on avait besoin de textes, et on les a volontairement recherchés. La source principale était l’empire byzantin, notamment la ville d’Antioche, à la fin du IXe siècle. Au début du XIIe, Aristote est traduit directement de grec en latin. A cette entreprise est attaché le nom du moine Jacques de Venise, au Mont Saint Michel. La bibliothèque d’Avranches possède encore des manuscrits de Jacques de Venise, qui furent du temps de cet érudit largement diffusées en Europe chrétienne. Nous sommes vers 1125, plusieurs décennies avant les traductions des textes arabes de Tolède.Lesquels, par ailleurs, sont très sujets à caution, car traduits du Grec en Syriaque, du Syriaque en Arabe, de l’Arbe en Latin : il ne pouvait qu’y avoir des distorsions considérables.
En fait, les conquérants arabes ne s’intéressaient guère à la culture des peuples subvertis, et encore moins à celle des Grecs. L’art d’Hippocrate -dont nous avons dit qu’il était surtout pratiqué par des chrétiens dhimmis, intéressait les puissants, mais pour le reste il est évident qu’il existait une énorme distorsion entre l’islam et la raison grecque. Gougenheim montre excellement que les islamiques ont bien plus rejeté qu’ils n’ont pris. La raison en est simple, et je vais la résumer par une syllogistique réflétant l’effroyable simplicité de la ch’aria : (1) le Coran est incréé et c’est la parole d’Allah, donc la Vérité. (2) Qui cherche la Vérité vient nécessairement vers le Coran. (3) La philosophie (« falsafa » n’a pas le sens de « philosophie », en fait) recherche la Vérité. (4) Si la philosophie trouve la Vérité, elle ne peut contredire le Coran. (5) Si la philosophie contredit le Coran, c’est qu’elle est fausse. (6) Si la philosophie est fausse, elle doit être condamnée. C’est à ce crible qu’est passé la sagesse des grecs, il n’est pas étonnant que la majeure partie en ait été rejetée. Notamment, les savants du monde islamique sont des uléma, légistes et grammairiens du Coran : l’organisation politique grecque et le droit romain leur sont totalement étrangers. La « science » arabo-musulmane n’est autre que le commentaire du Livre. Corollaire : le monde arabo-musulman n’a pas profité de l’apport des textes grecs que pourtant il détenait.
On comprend, d’ailleurs, qu’à cette aune il n’est ni oeucuménisme ni dialogue possible avec eux. Ce qui explique que nous sommes bel et bien, aujourd’hui encore, dans un conflit de civilisation : d’un côté celle de l’arrogance de ceux qui se disent serviteurs d’un dieu, et à ce titre supérieurs aux mécréants, de l’autre celle de la raison raisonnante et créatrice de savoir scientifique.
Encore, la « dialectique » (logique aristotélicienne) pouvait-elle convenir pour raisonner sur le Coran. Mais la Physique contredit nécessairement la révélation : elle est dangeureuse. D’autant plus dangereuse que l’épanouissement de celle-ci (en contradiction, d’ailleurs, avec l’aristotélécisme, voyez au XVIIe la conclusion de la relation de l’expérience du Puy-de-Dôme par M. Pascal le Jeune, mais c’est une autre histoire) s’est opéré de pair avec l’élimination du mythe d’un Dieu-moteur : la Nature est causa sui et Dieu en est jeté à la porte. On comprend alors, c’est logique, rationnel, que le monde musulman de la révélation et de la soumission à la Vérité incréée ne pouvait ni admettre l’essentiel de l’oeuvre scientifique grecque -mathématiques à part, encore que les vrais progrès : zéro flottant, numération de position, ait été emprunté aux peuples polythéistes de l’Inde- ni inventer la science positive. Là, pas plus qu’ailleurs, il n’y a d’héritage arabo-musulman. Et pas plus en mathématiques qu’ailleurs : non seulement le Moyen Age occidental connaissait Euclide et les pythagoriciens, mais les mathématiques n’ont connu leur essor qu’en Occident à partir du XVIIe siècle. En raison même de l’islam, la science positive ne pouvait absolument pas naître dans le monde arabo-musulman.
Au fond, et je partage totalement les conclusions de Gouguenheim, il y eut deux civilisations médiévales, celle d’Orient et celle d’Occident, totalement opposées par la religion, imperméables l’une à l’autre, et en constante conflagration. Nous, qui sommes attachés à la notion de Personne, qui avons théorisé la Cité et le corps politique, qui avons une tradition séculaire d’examen critique et de remise en cause -par laquelle se fait la science- ne devons RIEN, strictement rien, au monde islamique. La science posivive est née en Occident, c’est ainsi, même si certains, honteux de leurs racines, ne veulent pas l’admettre.
L’ouvrage de Sylvain Gouguenheim devrait être envoyé à M. Sarkozy, à M. Darcos, être lu par tous les professeurs chargés d’enseigner l’Histoire, car les programmes, issus non de la recherche historique mais d’une doxa dont, je ne le repèterai jamais assez, l’origine est nazie, mentent sciemment en versant dans la tête des enfants que nous avons une dette envers les musulmans et qu’ils sont aux racines de notre civilisation. C’est une véritable pollution intellectuelle. Y en eut-il de pire dans l’Histoire ? Il est temps d’en finir avec l’anathème dont souffrent les chercheurs, Redecker, Gouguenheim…, et que l’on ait le courage de sortir de cet état indigne de dhimmitude de la pensée. Au besoin, non contents de croiser le fer avec les réducteurs de têtes, déchaînons sur eux le feu.
Sacha.