Éric Zemmour critique, d’une plume acerbe mais très juste, un monument de bien-pensance politiquement correcte à propos de l’Histoire de France. Œuvre de destruction, ce pamphlet produit par des « sachants » aussi ignorants que des barbares, ne vaut évidemment pas le peine d’être lu. Il vaudra mieux se référer à l’Histoire de France de Jacques Bainville, même si l’on peut contester chez cet auteur clairvoyant l’arrangements des faits historiques comme conduisant à un point oméga centraliste et colbertien.
Ne dépensez pas votre argent à acheter « L’Histoire Mondiale de la France » ! Un jour, il faudra bien que de véritables historiens, et non des idéologues gauchistes, revoient l’enseignement de notre Histoire.
Dissoudre la France en 800 pages
En près de 146 dates, on ne déviera pas de la ligne du parti : tout ce qui vient de l’étranger est bon.
Les invasions barbares sont des «migrations germaniques »
Une histoire de France de longue, très longue durée. Une chronologie détournée et déconstruite. Une arme de gros calibreau service de l’historiquement correct.
HISTOIRE MONDIALE DE LA FRANCE.
Sous la directionde Patrick Boucheron.
Le Seuil
CHRONIQUE
Éric Zemmour
ezemmounr@lefigaro.fr
L’histoire, c’est la guerre. Non seulement l’histoire de la guerre, mais la guerre de l’histoire. Qui tient le passé domine le présent et maîtrise l’avenir. Les rois avaient leurs historiographes ; la République de Ferry et de Lavisse a forgé son « roman national » ; Staline effaçait ses anciens adversaires déchus des photos de la Révolution russe. Depuis les années 1970, notre Éducation nationale a entrepris la déconstruction de notre « roman national», la fin de l’histoire-bataille, le mépris des chronologies et des « grands hommes »,au nom d’une interprétation abusive de l’École des Annales.
Mais l’histoire, comme la nature, a horreur du vide. Dans ces ruines scolaires, si l’ignorance des nouvelles générations a prospéré, une histoire de France « à l’ancienne » s’est répandue dans l’édition et à la télévision, pour la plus grande joie des lecteurs et des téléspectateurs. Et la plus grande fureur de nombre d’historiens universitaires, qui voyaient leurs livres,transformés en pensums jargonnant de sciences humaines, délaissés. Il fallait que ce scandale cessât.
C’est tout le sens de cette Histoire mondiale de la France, trompettée triomphalement à la une de toute la presse. Les auteurs représentent le gratin de l’université française. Leur maître d’ouvrage est Patrick Boucheron, professeur au Collège de France. Il annonce sans fard son objectif idéologique et politique : reprendre le récit, les dates, la chronologie, bref le plaisir de l’histoire, des mains indignes de ceux qu’il appelle avec une condescendance méprisante « les publicistes ». On sent que ce retour au récit et surtout à la nation lui coûte et qu’il se pince le nez ; mais si notre grand homme et sa centaine d’« historiennes et historiens », comme il dit, mettent les mains dans cet odieux cambouis, c’est pour la bonne cause : progressiste, cosmopolite, féministe, antiraciste, multiculturaliste. Ne « plus concéder le monopole des narrations entraînantes » aux odieux marchands de «crispations réactionnaires ». Renouer avec le roman national, mais ne garder le roman que pour tuer le national.
Dès la première date, la messe est dite :l’histoire de France commence… avant l’histoire de France. 34 000 ans avant J.-C. ! Dans la grotte Chauvet, au temps de l’homme de Cro-Magnon. « Pour neutraliser la question des origines », avoue sans barguigner Boucheron. Une «France d’avant la France (qui) se dissout dans les prémices d’une humanité métisse et migrante ».
Nos «historiennes et historiens» donnent ainsi corps au fameux slogan antiraciste des années 1980 : « Nous sommes tous des immigrés». Tous des migrants. Tous des nomades. Pas de races, pas d’ethnies, pas de peuple. La preuve par le vide. On ne devrait pas s’arrêter là : avant l’homme de Cro-Magnon. il y avait nos amis les dinosaures ; et puis encore avant les poissons. Chérissons nos ancêtres les poissons !
En près de 800 pages et 146 dates, on ne déviera pas de la ligne du parti : tout ce qui vient de l’étranger est bon. Les invasions barbares sont des « migrations germaniques » ; la défaite des Gaulois leur permit d’entrer dans la mondialisation romaine ; les conquérants arabes étaient bien plus brillants que les minables défenseurs carolingiens ; les martyrs chrétiens de Lyon venaient d’ailleurs et saint Martin était hongrois. Les théologiens chrétiens doivent tout au grand talmudiste Rachi ;« l’honteux traité de Troyes » de 1420 (qui donnait le royaume de France à la monarchie anglaise) est une heureuse tentative de construire la paix perpétuelle par l’union des couronnes. Descartes n’est pas l’incarnation du génie français, mais le « témoin et Vecteur d’une Europe en recomposition et ouverte sur le monde ». La marine de Colbert et de Louis XIV doit tout aux marins nés hors de nos frontières. Versailles n’est qu’un mélange d’influences italienne, espagnole, voire anglaise et Les Mille et Une Nuits sont très françaises. Même la défaite de 1940 a permis la découverte de la grotte de Lascaux.
Les anciens héros tirés du « légendaire national », comme dit Boucheron avec dédain, sont des bouffons ou des ratés. Il ne s’est rien passé à Poitiers en 732 qu’une « illusion événementielle » ; et Charles Martel n’est qu’un « maire du palais même pas couronné entouré de ses barons assis sur d’énormes baudets ». La critique théologique de l’islam par le christianisme n’est qu’exagération et mensonge. En 987, « Hugues Capet fut fait roi mais il ne fit pas la France ». Jeanne d’Arc est une « invention» de la IIIe République. Napoléon ne restera dans l’histoire que pour son Code civil. Le crime de Balzac est d’avoir inventé « un découpage des cultures en nations » où l’on se moque de l’accent allemand du banquier Nucingen. 1917 est l’année de la révolte des Kanaks ; 1942 celle de la rafle du Vél* d’Hiv ; et de Gaulle tient sa légitimité de Brazzaville et non de Londres. Seule la prise de la Bastille échappe à la déconstruction générale : on l’aurait parié.
Simone de Beauvoir, Franz Fanon. Michel Foucault ou Dominique de Villepin, ou encore Zinedine Zidane. sont les nouveaux héros que l’on impose à l’adulation des foules.
Nos « historiennes et historiens » pétris de rigueur scientifique réinventent à leur manière une histoire providentialiste à la Bossuet, mais où la figure toute puissante et bienveillante de Dieu aurait été remplacée par celle de l’Étranger.
Pourtant. certains ne manquent ni de finesse ni de savoir. Un article sur Robespierre et la Terreur, un autre sur le libre échange sous Napoléon III. ou encore la création du parfum numéro 5 de Chanel ou celui de la promenade des Anglais à Nice, et bien d’autres encore, nous captivent, nous intriguent, nous passionnent même.
Mais la dernière date clôt l’ouvrage sur l’année 2015 et le retour du drapeau bleu-blanc-rouge. Grande inquiétude dans notre Landerneau bien pensant. Nous avons commencé avec l’homme de Cro- Magnon et nous achevons notre grand voyage avec le drapeau tricolore. Nos « historiennes et nos historiens » n’ont pas tort : on aura le choix entre le drapeau et la grotte Chauvet ; entre une France enracinée dans son histoire, sa culture, sa civilisation et le retour au temps des grandes invasions. Le millénaire conflit entre sédentaires et nomades. Et le séculaire clivage si français entre le parti de la France et le parti de l’Étranger.
Paru chez fdesouche.com le 20/01/2017