Il était une fois, à l’ouest du continent que les Anciens appelaient Europa, une peuplade dont les gens étaient baptisés « Pêche-Lunes ». Le sobriquet leur venait de l’an soixante et huit, lorsque, lassés d’être sagement guidés vers la prospérité par un vieux général, ils avaient écouté les prophéties de batteleurs conduits par le célèbre Bête-Malfaiteur, entre autres : « Oyez ! disaient ces filous, point n’est besoin de se tuer au travail, tout vient à point à qui sait pêcher la Lune au lieu d’y monter. » C’est ainsi que, conduits par des Pitalugue de bazar, le benêt peuple s’assembla autour des mares et étangs, les nuits de pleine lune, pour tenter d’attraper l’astre au reflet d’argent. De sept en sept ans, puis de cinq en cinq, de quatre en quatre ans également, les Pêche-Lunes, quelque peu agacés des fugues de la Lune, mais persuadés que demain Séléné tomberait en leurs rêts par la grâce d’un Grand Pitalugue élu pour l’occasion, s’assemblaient claquant du bec et tapant des mains. Mais dans leurs pièges, allez savoir pourquoi, la Lune ne vint pas.
Passèrent quatre lustres. En ce temps dont je vais vous entretenir, le Grand Pitalugue était plutôt courtaud, monté sur ressorts tel un kiki-sauteur, et se mêlant de tout. Il n’était ni pire ni meilleur que ceux qui l’avaient précédé, mais manquait de chance. Or il advint que le Ciel en sa fureur ouvrit ses vannes et fit pleuvoir sur la Terre d’affreuses cataractes. Partout dans le monde on rassembla les devins pour conjurer ce que les peuples ignorants appelèrent « lacrizzz ». Bien sûr, les Pêche-Lunes virent eux aussi les nuées leur couvrir la Lune. Qu’à cela ne tienne, se dirent-ils, nous avons nos parapluies sociaux !
C’était une institution chez les Pêche-Lunes, vieille de plus d’un demi-siècle : Papa-Etat, l’entité pluricéphale aux doigts crochus, gouvernée par le Grand Pitalugue, détournait une grosse part des revenus des Pêche-Lunes pour acheter des quantités de parapluies afin de les distribuer à tous ceux qui en réclamaient. Mais il advint que, les Pêche-Lunes n’étant pas des vaillants, ils boudèrent berceaux et établis ; résultat : moins d’actifs et moins de richesse. Sans compter qu’ils avaient ouvert toutes grandes les portes de leur pays à des tas de jappe-caillades ne sachant rien faire de leurs dix doigts, mais auxquels ils donnaient tout de même des parapluies. Bref : on avait beau tondre les oeufs, de moins en moins de fifrelins tombaient dans les escarcelles de Papa-Etat et, donc, moins de parapluies à distribuer, pardi !
Voilà qui ne faisait pas l’affaire des Pêche-Lunes. Ils sommèrent vertement leur Grand Pitalugue de les doter illico de moyens pour se garantir des averses, mais ouiche ! Papa-Etat ressemblait carrément à l’Eléphant-à-Trompe-Rose. Fauché, qu’il était, et même tellement criblé de dettes qu’il se clochardisait à vue d’oeil. N’empêche : le Grand Pitalugue emprunta pour saupoudrer ça et là des dotations en parapluies, mais c’était comme emplâtre sur jambe de bois. A dire vrai, quelque spectateur un peu sensé aurait compris que les carottes étaient cuites et qu’il fallait changer de système, faire le gros dos et se fabriquer soi-même son imperméable. Pas les Pêche-Lunes, auxquels le Ciel avait enlevé l’imagination et le goût de l’effort.
Au lieu de cela, ils trouvèrent plus malin de mettre le mauvais temps hors-la-loi et, bien entendu, d’en tenir leur Pitalugue pour responsable. Adoncques l’on vit, la veille du printemps de cette année-là, le Syndicat des Pêche-Lunes décréter la Grève Générale contre le mauvais temps et réclamer encore et toujours plus de parapluies. C’est ainsi qu’un 19 mars, trempés et transis, dégageant une forte odeur de chien mouillé et hirsutes comme barbets sortant du buisson, des millions de Pêche-Lunes manifestèrent aux cris de » Les nuées, ça fait suer, des parapluies faut’ – donner ! » Leurs voisins d’Europa les regardaient, éberlués devant tant d’inconséquence. Pensez donc ! Ces cortèges revendicatifs allèrent, dit-on, jusqu’à organiser des cérémonies expiatoires, rôtissant des boucs-émissaires, précipitant des pigeons du haut de falaises, enterrant vivantes des taupes, toutes mesures, on le voit, fort propres à apaiser les éléments.
Mais, bien entendu, non seulement rien n’y fit, mais la fureur des nues ne fit que croître. Total : les Pêche-Lunes se retrouvèrent Gros-Jean comme devant, la morve au nez, éternuant à qui mieux-mieux, essorant tant bien que mal leurs vêtements trempés, se jurant de choisir pour prochain Pitalugue une grande distributrice de parapluies gratis, qui, cette fois c’était sûr, allait leur permettre d’enfin attraper la Lune au fond des étangs. Voilà, n’en doutez pas, un jugement de grande conséquence !
Ceci est un conte, si vous voulez.
Raymond.