Forfaiture en perspective

« Ah ! Cette Angela ! Vous ne jurez plus que par elle ! » glapit Rottweiler. Elle est vraiment en pétard – comme sa coiffure, ce matin. La voilà qui trépigne, en furie et en peignoir à fleurs, dans le bureau de Soliveau II. « Mais, ma biche… » essaie timidement le Roi. « Ya pas de biche qui tienne ! Et toi, le palmipède, fous-moi le camp ! Nous avons à parler ! » Je ne me le fais pas dire deux fois, et gagne ma cachette habituelle, d’où je ne rate pas un échange.

« Voyons, Valie, ce traité de bonne gouvernance budgétaire s’imposait, et… » « Ce n’est pas la question ! rugit la virago, je n’aime pas voir voleter des cotillons autour de vous ! » « M’enfin ! La Chancelière n’est pas Ségo… » « Arghhhh ! Je ne veux plus entendre ce nom, compris ? » « Bien sûr, ma douce ! Et soyez rassurée : l’académie de Madame Merkel ne me sied pas ! » « Ouais, on dit ça… mais elle vous mène par le bout du nez ! ». Fort heureusement, mettant fin opportunément à cette querelle domestique, l’huissier annonce : « Votre Majesté, Monsieur le Premier Sinistre ! » « Veuillez m’excuser, ma biche, les affaires de l’État m’appellent ! » dit le Roi. « Ouais, maugréa Rottweiler, mais nous en reparlerons ! »

Soulagé, Soliveau s’avança souriant à la rencontre du Premier : « Ah ! Mon fidèle Zayrault ! Quelles nouvelles ? » Le Premier prit un air marri : « Il y a toujours cette tempête levée par l’hebdo Charlie, avec ses caricatures ! » Le Roi : « Mais c’est trop drôle, ces petits dessins ! Tenez, voici les deux que je préfère ! » (Vous trouverez lesdits dessins ci-contre.)  « Mais, Sire ! Tout ici est blasphème ! » « Oh ! N’exagérons rien ! Juste une taquinerie ! » Zayrault prit un air embarrassé : « Je l’admets, Sire, mais Vos électeurs Musulmans le prennent de haut et notre Ministre de la Police craint des échauffourées provoquées par des croyants justement indignés ! » « Votre conseil, Zayrault ? » demanda le Roi, soudain inquiet. « Nous pourrions envisager une loi contre le blasphème… » « Ah oui, alors ! Quand je pense que j’ai encore baissé dans les sondages : 43%, ça c’est un blasphème, et je dois me venger de ces sagouins ! Une loi, Zayrault, une loi, vite ! »

Le Premier eut un geste las. « Nous y songeons, dit-il, mais le délit de blasphème a été aboli sous la IIIe République, ça ne va pas être facile ! » « Allons, allons, reprit le Roi, nous avons un Parlement à nos ordres ! » « Sans doute, sans doute… Cependant, la populace risque de gronder ! Voyez, rien qu’à propos du mariage des Personnes à Sexualité Indifférenciée… » « Eh bien, quoi ! bêla le Roi, en quoi ça dérange-t-il la plèbe ? » « Je ne sais point. Quoi qu’il en soit, un sondage chez Opinions.com dégage une nette opposition au projet de loi ! » « Oh ben alors ! se désola le Roi, déjà que je ne peux pas tenir mes promesses économiques, si je ne peux pas tenir mes promesses sociétales, où va-t-on ? » Moi, de ma cachette : « Dans le mur, mon bon, dans le mur ! » Les deux pantins blêmirent en entendant cette voix d’outre-tombe.

Ils se reprirent bientôt. « Il y a pire, annonça Zayrault, j’ai vu dans un autre sondage que seuls 33 sujets sur cent étaient favorables au vote des étrangers ! » « Oh ! Les sagouins ! Les vauriens ! tonna Soliveau, et combien sont contre ? » « 66 pour cent ! » Le Roi compta sur ses doigts : « Donc ça fait, euh… je pose six et je retiens un… un pour cent d’indécis ? » « Hélas, hélas ! Se lamenta le Premier. « Oh mais ! Ça ne va pas ! Que vont dire les imams qui ont appelé à voter pour moi ? » « Oh ! Ils ne vont pas aimer du tout ! D’autant que le Congrès parlementaire ne nous donne pas la majorité des 3/5e. Je désespère de rallier les opposants ! Il y aura bien des traîtres parmi eux, mais je le crains, cela ne suffise pas. » Mines piteuses des  deux larrons. « On ne peut tout de même pas faire un référendum ! soliloqua Soliveau, le référendum, comme je l’ai dit, sollicite la part d’ombre du peuple – lequel peuple est laid, sale, mal fringué et sent sous les bras : pouah ! » « C’est bien pour cela que Terra-Nova et Tartes sur Câble désapprouvent et interdisent cette procédure. ». Un ange passa, à l’évocation des officines maléfiques.

« Aussi bien, reprit Soliveau, vais-je faire passer en loucedé le traité européen sur la discipline budgétaire. Nos sujets n’auront pas leur mot à dire sur cette question ! » « Ah oui, Sire, mais nos alliés écolos sont contre ! Ils demandent à leurs ministres de démissionner ! » « Billevesées ! Vous voyez Duflotte privée de son joujou ? » ricana le Roi. « Certes, mais l’individu Bête-Malfaisant s’est mis en congé d’Europe-écolo-les vers ! » « Qu’il aille au diable, tonitrua le monarque, les ministres verts, on continuera à leur servir la soupe ! » « Si fait, Sire ! reprit Zayrault, cependant vous aviez promis de renégocier le traité accepté par l’infâme Morfalou, Votre prédécesseur. Voilà qui n’arrange pas nos crochets ! » « Eh quoi, Zayrault, comment résister à la puissante Allemagne et à sa Chancelière de Fer ? C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu, elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu. » Zayrault, émerveillé : « Que de lettres, Votre Majesté ! Citer ainsi Molière ! » « Ah ? Je croyais que c’était de Victor Hugo. Enfin, passons… Angela, c’est un vrai démon. Le moyen de la contredire ? »

Là, ça m’agace prodigieusement. Il est temps de faire entendre la voix du feu Commandeur, et je ne m’en prive pas : « Tu t’apprêtes à commettre une forfaiture, roitelet ! Comme ton prédécesseur avec le traité de Lisbonne ! C’est au Peuple, et à lui seul, qu’il sied de décider de son destin et de son budget ! » Dire que les deux complices furent effrayés ne serait qu’euphémisme : ils étaient littéralement liquéfiés. « Quoi ! poursuivis-je, les élus de la Nation ne seraient plus qu’une instance de proposition et la bureaucratie apatride sise à Bruxelles disposerait ? Ah ! Tu n’as cure de l’indépendance nationale : tu seras châtié, toi et les tiens, pour cela ! ». Silentio sepulcrale sequitur (pardon : il s’ensuivit un silence sépulcral).

Au bout d’un moment, Zayrault, haletant de frousse : « Si Lui aussi s’en mêle ! Déjà que Méchant-Con et les siens hurlent à la trahison, en plus des verdâtres ! » Le Roi : « Amen ! Aussi serons-nous le plus discrets possible : l’Europe, c’est l’Europe, il n’y a pas à revenir là-dessus. Zayrault, de grâce, un vote parlementaire à la sauvette ! Même s’il n’y avait que dix ou onze participants, en pleine nuit, cela irait très bien. » « Nous ferons selon Votre bon plaisir, Sire !  Toutefois, il y a peu, mais il y a encore, des sujets mal pensants à nous surveiller ! » « On va les mater, couina Soliveau, Moscou-Vichy y pourvoira ! » « Si fait, Sire ! Nous nous proposons de taxer les retraités : selon la Cour des Cons… Pardon, la Cour des Comptes, ce sont des catégories ignoblement favorisées ! » « Haque ! jubila de Roi, de toute façon, ils ne votent pas pour nous. Taxez, mon bon Zayrault, taxez ! » Je ne pus me retenir de leur envoyer une fois de plus la sentence biblique : « Mane ! Thecel ! Phares » (1). Effrayés, ils se séparèrent.

Alfred le Pingouin.

(1)  Dans le Livre de Daniel, Balthazar, le dernier roi de Babylone, assiégé par Cyrus dans sa capitale, se livre à une orgie avec ses courtisans ; par une forfanterie d’impiété, il fait servir sur les tables les vases sacrés que Nabuchodonosor avait autrefois enlevés au temple de Jérusalem. Cette profanation à peine commise, le monarque voit avec épouvante une main qui trace sur la muraille, en traits de flamme, ces mots mystérieux : « Mane, Thecel, Phares » (soit « compté, pesé, divisé ») que le prophète Daniel, consulté, interprète ainsi : « Tes jours sont comptés ; tu as été trouvé trop léger dans la balance ; ton royaume sera partagé ». Dans la même nuit, en effet, la ville est prise. Balthazar est mis à mort et la Babylonie partagée entre les Perses et les Mèdes. (Ndlr)

 

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