L’aberration d’un projet de loi

Au moment où le gouvernement socialiste s’apprête à faire passer un texte législatif sur « le droit au mariage et à l’adoption pour tous », destiné à porter un coup fatal à l’une des lois fondamentales qui régissent notre société, il est intéressant de prendre connaissance de l’appel au référendum sur cette affaire par un groupe de députés de l’Opposition. Ces élus n’ont pas tort, mais il me semble important d’apporter l’éclairage de l’anthropologue sur cette question, au risque de braver, une fois de plus, les interdits du politiquement correct et même de la loi.

Il ne s’agit pas, bien entendu, d’abonder dans le sens des religieux ni dans celui de la morale, car ce qui est concerné – la question de l’homosexualité, du mariage homosexuel et de l’adoption d’un enfant par des ménages homosexuels – ne relève pas de ces domaines. Je n’ai pas, par ailleurs, à me défendre contre l’accusation « d’homophobie » : si je parlais de la schizophrénie ou de la paranoïa, aurait-on l’idée de me donner le titre « d’aliénophobe » ? Car c’est d’une altération – et non d’une aliénation – que j’entends discuter ici.

Des groupes de pression et une certaine idéologie naïve ont effacé l’homosexualité du tableau classique de ce que l’on appelait les « perversions ». Le nom de cette catégorie, qui englobe également le fétichisme, le voyeurisme-exhibitionnisme, l’échangisme-don-juanisme, est trop marqué de morale religieuse, aussi lui préfèrera-t-on celui « d’altérations ». On entendra par là : un dysfonctionnement de l’acculturation de la sexualité de nature. Or ce n’est pas en effaçant un trouble du tableau que l’on en guérit les victimes, ni que ce trouble n’existe plus : la clinique démontre le contraire, et contredit l’idéologie qui parle en l’occurrence d’un « choix de vie ». Car il y a bien trouble, c’est-à-dire maladie.

L’idéologie du « choix de vie » et de « l’amour » ne fait qu’embrouiller la question. L’amour, c’est une forme de l’appétence, et en cela, si sublimé qu’il soit (dans certains cas, et les poètes n’ont pas manqué de le célébrer), il relève du désir, transféré ou non. L’objet de désir n’est pas d’ordre sociologique, il peut être de n’importe quelle nature : nous sommes dans le domaine de l’axiologie. Mais il est très clairement perceptible que nos sociétés occidentales tendent de plus en plus, à tort, de faire de l’amour le fondement de l’alliance : on se marie « par amour ». Si l’on s’en tient à cette base, il n’est alors pas surprenant que le divorce tende à saper l’alliance, car le désir finit par s’émousser. De fait, il n’est de mariage que « de raison », c’est dire que l’alliance est d’ordre sociologique, non pas axiologique. La confusion de ces deux domaines est non seulement patente, mais embarrassante.

Le désir – la libido freudienne – n’est pas la sexualité. La sexualité (relation sexuelle au congénère de sexe biologiquement opposé) et la génitalité (relation du géniteur au petit) sont toutes deux acculturées, et cette double acculturation fonde notre sociabilité. Nous sommes donc ici strictement dans l’ordre sociologique. La division culturelle est différente de la division naturelle, et singulièrement, en ce qui concerne mon propos, le congénère n’est pas le partenaire. Ce fait a été clairement analysé par Lévi-Strauss dans Les Structures Élémentaires de la Parenté : tout se passe comme si la société était divisée en deux groupes, A et B. Á l’intérieur de chaque groupe, les sujets sont de sexe biologiquement différenciés, il y a des mâles et des femelles, mais sociologiquement ils sont de même sexe. Il s’ensuit que pour un sujet du groupe A, il n’est pas question de rechercher l’alliance au sein de son groupe, mais qu’en revanche elle se trouvera auprès d’un sujet du groupe B, sociologiquement de sexe complémentaire. C’est là toute la problématique de « l’inceste ».  L’incestueux est précisément celui qui, pathologiquement, n’est pas capable de vivre cette distinction. Le processus d’acculturation n’est pas de l’ordre du raisonnement, même si j’en rends compte par ce biais, il est sous-jacent, donc inconscient.

Mais l’être humain est ambigu : à la fois être de nature et être de culture. L’alliance étant le cadre sociologique dans lequel s’effectue la reproduction des sujets, il est bien évident que pour que cela fonctionne, elle visera nécessairement un sujet de l’autre groupe, sociologiquement ET biologiquement complémentaire. Cette nécessité est prise en compte par toutes les sociétés, avec des dispositions législatives diverses : c’est l’institution du mariage, qui ne saurait être autre chose que d’une part la négation de l’inceste et d’autre part la complémentarité biologique des époux. En négligeant cette donnée, les projets de loi socialistes nient le processus de l’alliance et vont à l’encontre de ce qui fonde l’un des deux aspects de la sociabilité.

L’homosexualité est un passage à la limite, une hyper-sociabilité pathologique, qui fait négliger complètement les impératifs à la fois de la sexualité naturelle et du cadre sociologique de reproduction de l’espèce. Le privilège est accordé à « l’amitié » plutôt qu’à la biologie. C’est donc un excès de culture, une réification de la problématique anthropologique de l’inceste, un enfermement dans l’analyse structurale, ou, en termes cliniques, une altération autolytique générative. C’est une maladie proprement humaine, car -en dépit des délires sur les prétendues mœurs des manchots ou des fox-terriers – il n’y a pas d’homosexualité animale. Dans son ordre, elle répond à la schizophrénie dans l’ordre de l’acculturation de la génitalité. Eugène Minkowski avait déjà souligné, en son temps, avait déjà signalé la correspondance des deux troubles autolytiques.

Il est donc aberrant de porter une condamnation morale contre l’homosexualité (jugerait-on mal un cancéreux parce qu’il est cancéreux ? Non, pour sûr !), mais il est tout aussi aberrant d’autoriser le mariage entre personnes homosexuelles, pour les raisons anthropologiques que je viens d’exposer. D’autant plus aberrant que l’autre aspect, celui de  l’acculturation de la génitalité, est également en cause.

Car s’ajoute à la problématique un autre rapport, non plus du géniteur au petit, mais du parent au fils – ce vocable étant épicène. Le parent, évidemment, n’est pas nécessairement le géniteur, c’est celui qui répond pour l’enfant et le porte dans le social, ce qui rend possible l’adoption. En raisonnant de manière abstraite, une personne souffrant d’altération ne souffre pas nécessairement d’aliénation, c’est-à-dire de trouble de la « paternité » et pourrait donc adopter. L’ennui est que cliniquement les choses ne sont pas aussi simples. L’acculturation de la sexualité et celle de la génitalité sont non seulement simultanés mais réciproques, c’est-à-dire que, comme le recto et le verso d’une feuille de papier, l’un ne peut exister sans l’autre. Par conséquent, si l’un dysfonctionne, l’autre tend à dysfonctionner de manière compensatoire, mais morbide. Dans ce cas, une personne souffrant d’altération, sans être pour autant aliénée, ne pourra pas exercer la paternité autrement que de manière perturbée. L’on observe ainsi de nombreux cas de personnes altérées littéralement obsédées par la paternité qu’elles ne peuvent cependant pas exercer de manière normale. Il me souvient notamment d’un cas de don-juanisme sous la forme de la pédophilie (altération généralement très mal analysée) : le sujet délirait sur ce que pourrait être, selon lui, un métier dédié à l’éducation.

En somme, s’il serait aberrant d’envisager d’autoriser le mariage entre personnes homosexuelles, il serait tout aussi aberrant d’envisager l’adoption par des personnes homosexuelles. On sait cependant que des tribunaux, jugeant hâtivement, en quelques cas, l’ont autorisée. Je me tiendrai à ce que je viens d’exposer, et n’envisagerai pas ici la question, souvent soulevée par les adversaires de l’adoption, du « modèle du père » et du « modèle de la mère », qui n’est sans doute pas sans importance mais qui mériterait un examen plus attentif : est-ce d’ordre sociologique ? Axiologique ? Cela nécessiterait un exposé beaucoup trop long.

En résumé, il n’y a aucune raison, ni morale ni religieuse, de mépriser et de persécuter les personnes souffrant d’homosexualité. Mais il n’y a aucune raison non plus de les autoriser à contracter alliance et adopter des enfants. Les socialistes et leurs alliés écologistes, en agissant conformément à leur idéologie, et sans prendre la peine de soumettre les idées reçues – et l’on sait comment elles ont été reçues – à une analyse anthropologique rigoureuse, s’apprêtent à dangereusement aggraver les dysfonctionnements d’une société déjà sérieusement déséquilibrée. C’est pourquoi, en cette affaire, il est indispensable de faire appel au bon sens du peuple pour trancher le dilemme.

« L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » (Pascal)

 

Sacha

 

 

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