Capitalisme, étatisme et éthique.

Il se trouve qu’ExtrêmeCentre a signalé un article très intéressant, dont je vous livre la traduction (libre, comme toute traduction) :

« Pour la défense du capitalisme, le système le plus vertueux jamais conçu

Par Daniel Hannan (Politics Last updated: January 19th, 2012)

L’avidité n’est pas bonne, mais convenablement canalisée, elle peut faire du bien.

Le capitalisme n’est pas égoïste en soi. Comme tout modèle économique, c’est un cadre dans lequel chaque acteur individuel peut se comporter de manière morale ou immorale. Mais il est un fait à signaler : personne n’a encore jamais inventé de système qui récompense à ce point les conduites convenables.

Dans un marché ouvert, fondé sur le droit de propriété et le libre contrat, on devient riche en offrant aux autres un service honnête. J’écris ces mots sur une machine développée par feu Steve Job. Il a gagné à l’échange (en augmentant son bénéfice net) et moi de même (c’est plus commode d’écrire ainsi).

Par contraste, dans le cadre des diverses formes de corporatisme essayées par les régimes fascistes et socialistes, quelqu’un d’autre – généralement un agent de l’État – va vous allouer des petits cadeaux : favoritisme et corruption garantis.

Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les pratiques fautives sont inconnues dans le capitalisme. L’homme est un être déchu et, sous quelque système que ce soit, certains succomberont à la tentation. Simplement, dans une économie étatique, la corruption est systématique et à demi légale. De fait, les formes les plus évidentes d’inconduite dans nos économies occidentales sont plutôt celles qui impliquent les gouvernements : pressions pour obtenir des faveurs inappropriées, renflouement et immunité de certains contribuables, et ainsi de suite.

L’avidité – je veux dire, le désir de possession matérielle – n’est pas produite par le marché, c’est un produit du génome humain qui se développe dans un environnement où règne la concurrence. Le capitalisme la canalise vers des fins productives. La manière de s’enrichir dans une économie libre est de donner aux autres ce qu’ils veulent, et non de les asservir à son pouvoir.

Il est encourageant d’entendre David Cameron faisant la morale au marché libre. Trop de gens se représentent vaguement  l’éventail gauche-droite comme un parcours de la décence vers l’efficacité : les socialistes sont ineptes mais pleins de bons sentiments, les conservateurs capables mais cruels.

En fait, il est difficile de penser une relation éthiquement plus satisfaisante que celle née d’un contrat librement consenti. Chaque partie ajoutera au bien-être de l’autre en faisant exactement ce que l’on attend d’elle. C’est rarement vrai dans les rapports entre individus pris dans d’autres contextes, si bonnes soient leurs intentions. Même de très proches amis – même époux et épouse – pourront rater les attentes de l’autre. Si jamais il vous prenait l’envie de vous embarquer dans une relation d’affaire avec quelqu’un que vous aimez, je vous conseille de protéger votre amitié en signant un contrat : cela évite les  malentendus.

Maintenant, vous pourriez objecter que ce que je viens d’écrire est plutôt moyen et quelque peu mécanique. Il n’y a pas de problèmes avec les contrats, diriez-vous : payer vos employés à la date convenue, livrer les biens que veut votre client, c’est tout bon. Mais ce n’est pas comparable avec le mode de comportement que l’on peut avoir lorsqu’il n’y a pas de rémunération matérielle : travailler à la soupe populaire, visiter les prisonniers, envoyer des dons en argent dans les pays frappés par la famine – ou tout bonnement être un bon parent, un bon voisin, un bon ami.

Et bien sûr, vous auriez tout à fait raison. Mais là n’est pas la question. Nous ne sommes pas en train de discuter si la générosité et la charité sont louables ou non. Nous nous demandons si le tout-puissant gouvernement les encourage. Et c’est là où j’en viens au fondement de ma réflexion.

Il y a deux ans, Jonah Goldberg a publié un certain nombre d’études suggérant que les gens se disant de sensibilité de droite ont tendance à consacrer une plus grande proportion de leurs revenus à des oeuvres de charité que ceux qui s’estiment de sensibilité de gauche.

Maintenant, je ne veux pas outrepasser les conclusions de ces enquêtes. Je connais des tas de gens de gauche qui consacrent beaucoup de temps aux nécessiteux. De même, cependant, j’ai noté une tendance apparemment plus commune à gauche qu’à droite : la tendance à placer la moralisation (le fait de détenir l’opinion juste) au-dessus de la morale (le fait de bien faire).

Passez quelques minutes sur un forum de discussion par Internet, ou sur Twitter. Regardez ce que les gens de gauche entendent par ‘haïssable’, ‘mauvais’, ‘détestable’. Ils visent rarement ceux qui ont abusé d’un enfant, ou menti à leurs amis, ou fraudé l’impôt. Le plus souvent ils visent celui qui a exprimé une opinion incorrecte à propos de l’immigration ou des multi-nationaux. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le plus frappant dans cette attitude est le narcissisme. Le mal, qui a perdu le sens que lui donnaient les religions monothéistes, a fini par signifier  : « quelqu’un qui ne pense pas comme moi ».

Une fois que l’on a établi sa propre moralité en désapprouvant les bonnes actions, pourquoi aller plus loin ? Une fois que l’on a demandé d’augmenter les taxes, pourquoi faire la charité ?

Est-ce qu’il ne serait pas plutôt peu honorable d’être généreux avec l’argent des autres ? J’ai déjà raconté comment les  députés européens ont réagi au tsunami dans l’océan Indien. Orateur après orateur on a proposé des sommes sans limite pour venir en aide. Mais lorsqu’un vieux gars, un catholique italien doué d’un naturel doux, se leva pour suggérer que l’on pourrait faire un geste personnel en donnant une journée de l’indemnité  que perçoit chaque député, un silence glacial s’installa dans la salle. Ceux qui avaient promis d’énormes sommes de la part de leurs électeurs lancèrent des regards noirs et maussades au pauvre vieux. On refusa sa proposition d’un ton glacial, et la séance continua.

Non que cette double mesure ne s’applique qu’aux seuls gouvernements. Elle est vraie aussi pour l’ensemble de la « responsabilité sociétale ». Quand on creuse un peu,  elle aussi signifie que l’on est généreux avec l’argent des autres.  Les affairistes ménagent leur bien-être en faisant supporter les coûts par leurs actionnaires, leurs clients et leurs fournisseurs. Ne serait-il pas mieux qu’ils cherchent ouvertement à augmenter leur profit et qu’ils décident, en tant qu’individus, à en rendre quelque chose ?

On ne le repètera jamais assez : lorsqu’on donne pour une bonne cause, on fait un choix moral. Mais lorsque le gouvernement vous prélève une somme équivalente par le biais de la taxation, et la dépense en votre nom, vous n’êtes plus dans ce cas de figure. Cela ne veut pas dire que toute taxe est mauvaise : il y a des choses qui doivent être payées par la collectivité. Mais l’argument de l’intervention étatique est pratique, mais non éthique.

Qu’en est-il, alors, des défauts dont a parlé le Premier Ministre (David Cameron) ? Eh bien, c’est vrai : le capitalisme est souvent rabaissé par les pratiques du lobbying, du copinage et de la subvention. Comme je l’ai déjà montré, il y a des moyens pour s’en prémunir, par exemple en réformant la gouvernance des entreprises de telle manière que les actionnaires se pensent en tant que propriétaires plutôt qu’en actionnaires.

Il est bien que le Premier Ministre lise encore ce blog, mais il y a certaines conséquences qui découlent de ce qu’il dit. La distorsion du système capitaliste la plus offensante – et, donc, contraire à l’éthique – commise ces dernières années a été le décision de renflouer les banques. En plus d’avoir récompensé l’échec ( exactement le contraire de gagner de l’argent en fournissant un service), on a transféré la richesse des pauvres vers les riches.

Aussi, pourquoi diable proposer de recommencer ? Car, il ne faut pas s’y tromper, c’est à cela que sont destinées toutes ces contributions croissantes au FMI. On nous raconte après coup que ce n’est pas pour renflouer la zone euro. Ah bon ? Pour qui c’est, alors ? Pour la Norvège ? Pour le Koweit ?

Quand on parle de renflouer l’eurozone, en fait on veut dire recommencer à exonérer les banques et les obligataires des conséquences de leurs errors. Ce n’est pas moral, monsieur le premier ministre. Et ce n’est pas de jeu. »

Je n’ai pas grand chose à ajouter : pour une fois que je trouve quelqu’un qui – à part dans notre Camorra – pense à peu-près comme moi, je suis satisfait. Ce billet devrait être envoyé à MM. Hollande et Ayrault, pour leur expliquer par exemple qu’ils n’ont pas à renflouer les banques qui font des conneries, et plus généralement à nourrir des monopoles, ni à faire la charité en notre nom avec l’assistanat étatique. Les deux procédés nous ruinent.

Sacha.

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