Des bas, des hauts, il y en a partout, mais des drames il y en a surtout chez nous. Sans compter les ennuis techniques, les retards et l’insolence de l’administration, l’impérétie des entreprises et j’en passe. Nous courons à l’Apocalypse.
Cette période de presque quatre mois nous a isolés, notre Camorra et moi, du monde. Un matin, j’apprends : « Ben Ali s’est enfuit », l’autre matin j’apprends que les Egyptiens, sans-doute tenaillés par les frères muslims, se révoltent. Et j’entends ce soir les imbéciles de journalistes refaisant le monde sur Luxembourg : le n’importe-quisme porté au paroxysme. Quelque chose se passe, et ce n’est pas nécessairement du bien, malgré les réjouissances tonitruantes des imbéciles.
Mais puisqu’on chasse des potentats - »our bastards », pas ceux des autres- cela m’inspire une réflexion sur le pouvoir. Attachez vos ceintures !
Le gouvernant lui-même n’est jamais qu’un arbitre et la faculté dont il use et parfois abuse de sanctionner les infractions -toujours relatives- ne relève pas du droit, mais politiquement de la délégation de pouvoir. D’un pouvoir dont, fondamentalement, chacun de nous est la source et que nous déléguons dans des cadres conventionnels, dont, naturellement, la « démocratie » qui n’a rien de naturel.La convention contraint à l’obédience, il ne s’ensuit pas qu’elle en fonde la légalité implicitement enclose dans le citoyen .
Obama et Science-Pô auront beau dire : c’est tout un d’incarner Capet, Bonaparte ou République ; c’est toujours de la délégation. Et les classements politiques donc superficiels des formes de gouvernement n’aboutiront pas plus à une théorie du pouvoir que les vieux traités de rhétorique, à une théorie du sens. Alors que l’on ne vienne pas nous bassiner avec la « démocratie, le pire de tous les régimes à l’exception de tous les autres » (attribué à Churchill). Ça pouvait fonctionner à Athènes, voire à Rome; nos régimes démocratiques ne sont plus que des régimes de bananes.
Tocqueville s’interrogeait sur le fait de ne pouvoir considérer que la volonté de la majorité comme fondement de la légalité, et en même temps de trouver insupportable cette dictature de la majorité. Or ce n’était pas une contradiction, si l’on songe que c’est même la source du malaise de la démocratie que de confondre la majorité avec la somme arithmétique des individus qui s’expriment. L’abstention n’en est pas moins là dont le poids, sociologiquement, doit être pris en compte par quiconque prétend à gouverner l’Etat. L’autorité, on le sait, ne vient que par surcroît : tel en est dépourvu et c’est le plus fréquent, dont le pouvoir, cependant, est légal ; tel en jouit qui n’a jamais reçu, ni même sollicité, l’investiture. Comme le cœur, et indépendamment de toute référence ou de toute consultation, la loi a ses raisons et le ministre le plus averti n’est pas forcément le plus fidèle.
Il n’est, de ce point de vue, de gouvernement que légal, puisqu’il ne saurait autrement prétendre au titre de gouvernement ; tout comme il n’est de régime que démocratique, vu qu’on connaît des monarchies parlementaires et des républiques aristocratiques et que tout, à vrai dire, dépend de la taille et de la constitution sociale du « démos » (peuple) plutôt que, psychologiquement, de la méthode de commandement. Lisez ou relisez, sur ce point, l’Histoire Romaine de Tite-Live. Si le pantocrator (le tout-puissant, le tyran), en tout état de cause, est exclu et si, au mieux, les dictatures n’ont qu’un temps, il faut s’attendre que les politiques oscillent, au gré des adversaires, entre les monopoles et la bureaucratie. L’ennui est que chez nous, avec Sarkozy comme avec les socialistes, comme aussi sous Ben Ali et Moubarak, les deux pôles, loin de s’opposer, s’additionnent. Et accroissent leur nuisance.
Rien à voir, cependant, avec la théocratie islamiste, moderne incarnation, avec le communisme Nord-Coréen, de ce pantocrator qui finit pas se muer en démovore (mangeur de peuple). C’est pourquoi l’on a toujours plus ou moins mauvaise grâce à se plaindre de la médiocrité, sinon de l’indignité, fût-elle souvent patente, de nos gouvernants ; car c’est oublier un peu vite que les mauvais hommes d’église ou d’état procèdent moins du sacré ou des urnes que de la démission, qui de mauvais fidèles ou qui de mauvais citoyens. Oui, nous ne déléguons et ne sommes représentés, aurait dit le spirituel Jean Dutourd (-regrets profonds, l’esprit vient de s’éteindre définitivement en France-), que par des gens qui nous ressemblent. Le gouvernant n’est que notre miroir, et dans son abjection nous contemplons la nôtre.
Aussi bien le problème ainsi reposé dudit pouvoir n’est-il pas celui de l’étendue ou de l’exiguïté de son ressort, de la manière dont il s’acquiert ou se conquiert, ni des limites qu’ il se donne, mais bien de la moralité, entendons de l’authentique liberté, c’est-à-dire de l’empire que celui qui le reçoit provisoirement en délégation a sur son propre désir. On comprend que s’il y a beaucoup d’électeurs ou d’élus, les éligibles, en revanche, soient rares et qu’on ait plutôt tendance à cacher la merde-au-chat en mettant l’accent de préférence sur la formation intellectuellement dispensée par des écoles censées préparatoires, ainsi qu’à favoriser du même coup l’hypertrophie de la technocratie. Autocrates ou démocrates ne sauraient, en un mot, échapper à l’inflation des scandales. Il n’est, de mon point de vue, aucun autre régime qu’aristocratique : celui non des nobles, mais, étymologiquement, des bien-nés, ceux qui ont l’empire sur eux-mêmes. Pour l’admettre, il fautconvenir que la Loi ne fait pas le bien-né : c’est exclusivement le Droit, qui comme on le sait est hors-la-Loi et n’a rien à voir avec les Facultés du même nom. L’homo rectus, c’est celui qui est normé, d’équerre selon l’étymologie, qui contrôle son désir et peut, à ce titre, contrôler celui des autres, en délégation. La légitimité ne tient pas à la loi, même si la loi la recoupe en permanence.
Qu’est-ce que c’est qu’un gouvernement ? C’est un certain type de pouvoir qui, par accord ou par dynastie, par majorité ou par majesté, vous impose un certain type de comportement, de décision légitime. Or pour cela, pour que des hommes osent décider pour les autres, encore faut-il qu’ils soient capables de décider pour eux-mêmes. En fait quand quelqu’un revendique dans la société un pouvoir gouvernemental, c’est au fond un pouvoir d’éducation, mais un pouvoir de légalisation de la légitimité, de politisation de l’éthique. C’est très curieux de voir que ceux qui sollicitent le pouvoir sont très généralement des gens qui n’ont aucun pouvoir sur eux-mêmes et qui aspirent à l’avoir sur les autres !
Bref : nos stupides potentats des démocraties occidentales ont bien tort de prétendre faire la loi chez les autres, eux qui ne savent pas mettre d’équité ni dans leurs pays ni même d’ordre dans leur maison. C’est pourquoi il est, entre autres, souhaitable que 2012 soit l’année du refus de la délégation de pouvoir à une caste politique parfaitement psychopathe. C’est pourquoi aussi il est à redouter qu’aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, les peuples n’aient pas assez de discernement pour éviter de remplacer leurs potentats par de barbus démagogues et hautement psychopathes qui les réduiront en esclavage.
Sacha
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