Une vie de chien

RVB de baseCe matin du 31 décembre 2014, nous déambulions, oisifs, La Conscience et moi, dans les couloirs déserts de l’Élysée. « C’est Das Schloß der Ratten, me dit le petit spectre, on dirait qu’il n’y a pas un chat ! » En effet, une atmosphère pesante régnait sous les ors défraîchis, une étrange sensation de méfiance malveillante vous prenant aux tripes, depuis que le Roi, après avoir congédié cinq de ses proches collaborateurs, tenait secret son agenda. Notre ami Alonzo Tromondada, le psy, nous avait expliqué que le délire du monarque avait viré à la suspicion de trahison, et que Soliveau le Second craignait désormais autant les paparazzis que les manifestants. Tout était filtré, chacun était espionné, ce qui explique d’ailleurs mon long silence.

« Même pas le minois de l’actrice pour nous é-Gayet », se plaignit La Conscience. « Bah ! Madame de Demain vient toujours en catimini, répondis-je, et tu as pu constater comme moi qu’elle est aussi désolante que Madame d’Avant. Quand tu penses qu’elle a emmerdé  des flics… » « Ah ouais, elle voulait qu’ils escortent son taxi ? » « Oui, confirmai-je, pour virer les paparasites. » « Ah ben la « fiancée du Président », hein ! ricana La Conscience. C’est une constante chez le Roi : il ne cherche que des femmes dominatrices, imbues de leur petite personne et, par conséquent, insupportables, arrogantes et stupides.

Nous poursuivions notre route, désabusés, au long des couloirs, lorsque La Conscience s’écria : « Tiens ! Un clebs ! » En effet, un quadrupède arrivait oreilles pendantes et queue basse. Á sa façon de se balancer, les hanches quelque peu convexes, nous devinâmes que nous avions affaire à un clebs du genre qu’on préfère, à un canidé du beau sexe. L’animal vint à nous : « Bonjour, lui dis-je, je suis Alfred, maître de ballet de Sa Majesté, et voici La Conscience. Quelle affaire en ces lieux vous amène ? » « Je suis un petit chien perdu, dit-elle d’une voix morfondue, un pauvre clébard en déroute, pas même un chef de cabinet, pas l’ombre d’un gratte-papier pour pouvoir m’indiquer la route… » Diantre !

« Ah, déclara La Conscience, nous allons vous aider, mais dites-nous de quelle famille vous êtes issue ? » « Je suis un Labrador » répondit-elle fièrement. « Après la Rottweiler, la Labrador ! Vous êtes donc l’animal de compagnie du Roi ? » « Ah ! gémit-elle,  ne vous gaussez pas de moi, ma vie est devenu un enfer depuis que je suis dans ce maudit palais ! » « Oh ! Oh ! fit La Conscience, intéressé, vraiment, mademoiselle… mademoiselle ? » « Mon nom est Hortense d’Abercrombie, troisième du nom, mais le Roi préfère m’appeler Philae ou plus vulgairement Phi-phi. » Sur les conseils d’on ne sait quel expert en « communication », Soliveau avait en effet décidé d’adopter un chien labrador, pour faire plus monarque, comme jadis M. de Puis Peu avec son chien Jugurtha, le sire de Jarnac avec Baltique, Soliveau Premier avec Maskou et Morfalou avec Clara. L’Élysée, non content d’être un parc à ânes, est aussi un chenil.

« Sachez, Hortense, l’assurai-je, que je vous comprends, moi qu’on a arraché à sa banquise pour essayer d’enseigner le maintien à ce lourdaud de monarque. Où donc voulez-vous vous rendre ? » « Mais… Chez le Docteur Tromondada, bien sûr ! », répondit-elle. « Ah !  dit La Conscience, c’est là qu’atterrissent invariablement les habitants de cette maison ! Il se trouve qu’il est de nos amis, nous allons vous conduire chez lui sur l’heure ! » Ce que nous fîmes. Alonzo Tromondada marqua tout de même quelque surprise de devoir psychanalyser un chien, mais décida que tout et n’importe quoi pouvait arriver sous le règne de Soliveau le Second.

Le psy achevait une séance avec le Naja, comme nous pûmes le constater en nous installant dans notre salle secrète, derrière l’écran. Alonzo tentait désespérément de dissuader le reptile d’imposer aux petits garçons des maternelles de porter de  pantoufles roses et de jouer avec des poupées : rien n’y fit. « Bon… Nous reviendrons sur cette question la prochaine fois. En attendant, essayez de vous représenter en train de soulever des poids de cent kilos » lui commanda-t-il alors qu’elle sortait du cabinet. Hortense lui succéda bientôt.

« Docteur, commença-t-elle, cela peut paraître logique, mais en vérité je mène une vie de chien dans l’entourage du Roi ! » « Mmmm… Racontez-moi ça ! » « Si encore il aimait les animaux ! Mais non : il les traite comme ses sujets ! » « Oui ? » « D’abord l’entourage… Tout le monde se croit obligé de me flatter parce que je suis le chien royal. C’est d’un pénible ! Le moindre grouillot ne gratte familièrement le sommet du crâne, passe ses doigts sales sur mon dos… Au début, comme je ne réagissais pas, Soliveau m’a ordonné de frétiller de la queue en signe de contentement. Vous parlez d’une hypocrisie ! Surtout quand j’ai affaire aux gens du Noir Cabinet, j’aurais plutôt envie de leur tailler un short en prélevant une escalope au passage ! » « Saine pulsion, commenta Tromondada, et apparemment vous savez parfaitement y résister ? » « Oui, mais à quel prix ! Mais je me dis qu’après tout, mieux vaut faire semblant que de risquer d’attraper une vilaine maladie en les mordant. » « C’est pas faux ! » souligna laconiquement Alonzo.

« Et lui ! Lui !, geignit Hortense, il exige que je me conduise comme un chien ! » « Hum… Que voulez-vous dire ? » « Eh bien, par exemple, lorsqu’il y a des journalistes, je dois être sur la photo, l’air presque souriant et le regardant affectueusement. » « Et cela vous coûte ? » « Ah oui, alors ! Je le déteste ! » « Jusqu’ici, rien que de très normal, dans votre attitude, je veux dire. Mais vous conduire comme un chien… Je voudrais des exemples. » « Facile !, répondit la chienne, c’est la normalitude. Il me commande « assis ! » ; moi, je m’assois sur un tabouret, croise les jambes comme il sied. Eh bien cela ne plaît pas à monsieur : il m’oblige à m’asseoir par terre sur mon arrière-train, appuyée sur les pattes de devant. Comme un chien de la rue, quoi ! » « Je vois, dit le psy, un autre exemple ? »

« Eh bien, pour montrer qu’il est bien le patron, il me commande : « coucher ! » Moi, obéissante, revêts une chemise de nuit, me brosse les dents, puis me glisse entre les draps. Mais lui m’oblige à me vautrer de flanc sur le tapis, dans la position du chien mort. » « En effet, il est diablement prescriptif », commenta Tromondada. « Voilà ! Il ne tient aucun compte de ma bonne éducation. Pire ! Il a ordonné à l’un de ses grouillots de me montrer ce qu’est d’après lui la conduite d’un chien ! Le type s’est mis à quatre pattes, flairant bruyamment partout, levant la patte dans un coin – l’imbécile n’avait même pas remarqué que je suis une chienne ! – puis il a répété le « assis ! couché ! » un nombre incalculable de fois. Et il vaudrait que je mimasse cet individasse…heu ..du ? N’est-ce point déraisonnable ? Voyez : il me force à manger d’infâmes croquettes dans une gamelle en plastique, moi qui n’aime que la porcelaine et les couverts en argent ! Le pire ! Si encore il m’appelait par mon sobriquet, Philae, ça passerait, mais il s’obstine à me donner du Phi-phi à tout bout de champ, comme si j’étais du gibier de fourrière ! »

« Comme d’habitude : déni de la compétence des autres, tendance à les vouloir non seulement à son image, mais surtout à l’idée qu’il se fait d’eux », nota Alonzo sur son carnet. « Eh bien, mademoiselle Hortense, essayez de l’éviter autant que faire se peut. Je vous assure que vous êtes parfaitement normale, mais la pression que vous subissez est pénible et pourrait vous amener, si l’on n’y prend garde, au burn-out. Je vous prescris un sédatif léger, ça vous aidera, et vous pourrez venir me voir lorsque cela vous paraître nécessaire. De plus, je vous conseille de fréquenter mes deux joyeux drilles, Alfred et La Conscience, qui passent leur temps à jouer des tours pendables au roi. C’est très sain pour le moral ! »

La Conscience me fit un clin d’œil : « On va rigoler !  La petite Hortense aura beau porter de beaux harnais, elle deviendra un agent subversif, comme nous ! ». Je le laissai sur ces paroles, car je devais aider le roi à répéter sa ridicule prestation des vœux hypocrites à une population qui n’en a que faire.

Alfred

Share
Cette entrée a été publiée dans A la Une. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Les commentaires sont fermés.