La révocation de Lady de N*

« Twik ! Twik ! Twik ! Alfred ! Al-Frèèèèdeu ! Où es-tu, fichue bestiole ? » Oh oh ! Soliveau Ier me cherche ! Encore une séance de maintien à la clef. Très peu pour moi : tandis que le roi braille dans les couloirs élyséens, je me planque dans son bureau ; il n’aura pas l’idée de me chercher derrière sa statue en plastique de Pikatchou. Le voilà reparti de plus belle : « Alfred ! Twik twik twik ! Viens ici, stupide animal ! » Il s’imagine que les manchots empereurs font « twik twik », le pauvre ignorant ! « Twik twik Tweet tweet ! .. Ah ! Zut ! Cet amphibie fait que je suis bête ! Tweet ! Ah ça, mais Tweet ! C’est Valie, qui tweet, cette gredine ! »

Tiens, tiens ! On dirait que le torchon brûle ! Le monarque pose son précieux bas du dos sur la chaise cul-curule, et pianote sur son bureau en ronchonnant :

- C’est un monde ! Je me fais engueuler de partout, Valie me fait la hure, et maintenant ce foutu batracien qui déserte ! Enfin… ! J’étais bien mieux à Tulle. Me demande pourquoi ils m’ont fait roi… » soupire-t-il. « Tiens, que dit le Noubel Obs.. Obs.. Obs… Obsédé ? » Il feuillette le journal d’un air distrait, quand soudain :

- Crotte de bique ! Je viens de ramasser encore cinq points de moins en cote de popularité ! Je bats le record de Morfalou ! A ce train-là, les Guillotin vont se payer ma tête d’auguste.. heu, mon auguste tête ! »

Une tenture alors s’agite à peine d’où surgit un personnage spectral, enveloppé dans un burnous. Son visage émacié en lame de couteau, son teint olivâtre, sa barbiche pointue, sa manière de se déplacer – un glissement silencieux – me font craindre un Assassin. Je me fais tout petit, en espérant que ce Ravaillac ne me voie pas. « Hum..hum ! » fait-il. Surpris, le roi lève la tête.

- Ah ! C’est vous, Eminence Grisâtre ! Vous m’avez fait peur !

- Voyons, Sire ! Nous ne sommes là que pour vous conseiller, non pour vous dessouder.

- Très bien, Monsieur de Terra Nova ! Après tout, vous me fîtes roi…

- On nous le reproche bien assez ! Peu importe, je veux vous entretenir d’une affaire d’Etat de la plus haute importance.

- Diantre ! S’agirait-il du plan-pédalo de ce bon Montambour pour sauver Peugeot ?

- Nenni, Sire, c’est de Madame votre favorite qu’il s’agit.

- Oh, elle n’est pas ici. Elle a jeté quelques bagages dans son coffre et a filé en sa propriété de l’Isle-Adam. Depuis, je n’en entends plus parler. Elle devrait rentrer dans quelques jours.

- Le mieux, Sire, serait qu’elle ne rentrât point céans.

- Et en quel honneur, je vous prie ?

- Il y a, monsieur le roi, que la dame occasionne quelque désordre et perturbe la bonne marche de nos plans en agissant de manière trop voyante. Déjà, lors de l’affaire Ségolène contre Falorni, elle s’est ingérée sans retenue..

- Oui, oui, on s’est expliqué à propos de ses twik.. heur, de ses Tweets. Ça a fumé, et j’ai couché à l’Hôtel du Cul Tourné pendant une semaine ! Enfin, elle a tout de même consenti à paraître à mes côtés le 14 juillet…

- Sans doute, sans doute, Sire, mais votre fils, le petit Tho-to, n’a-t-il pas été jusqu’à dire que l’attitude de Madame et l’embrouille qui s’ensuivit questionnaient votre autorité ?

- Oh, çui-là ! Prend toujours le parti de sa mère !

- Il n’empêche : ce désordre nuit et ne sied pas à la dignité de votre trône. On murmure. Votre popularité baisse à vue d’œil, et Ségolène fait un barouf de tous les diables. On prétend aussi que Madame est pour quelque chose dans l’éviction de certains journalistes..

- Mais c’est bien votre stratégie, non ?

- Oui, oui, mais nous jouons en loucedé.. en douce, je veux dire. Comprenez : si l’on accuse la favorite, les méchants ne manqueront pas de conclure à la vérité que vous n’êtes qu’un fantoche entre ses jolies mains…

Soliveau Ier prit l’air songeur, ce qui ne veut pas dire qu’il songeât réellement. Puis, prenant son courage à deux mains :

- Quel est votre conseil ?

- Conseil… Vous avez de ces mots ! VOUS venez de prendre la décision de virer Mme Rottweiler. En fait, votre pensée file plus vite que votre esprit, plutôt lent, et justement elle coïncide très exactement avec le conseil que nous autres, Terra-Neuviens, vous adjurons de bien vouloir suivre sans délai. Illico, même, et sans barguigner.

Le monarque blêmit, sa bouche se mit à trembler. Signe d’extrême angoisse, il se gratta le poignet gauche :

- Je n’aurais jamais pensé penser à penser… J’ai donc pris cette décision qui me fend le cœur ?

- Oui, Sire !

- Ah ben bon… Mais ça va faire du bruit dans Landerneau !

- Certes, nous nous attendons à ce que les mal-pensants se gaussent de la guerre de l’Ex et de la future Ex, aussi voulons-nous d’une part préparer l’opinion, d’autre part qu’une oukase vienne conclure cette embarrassante comédie de boulevard.

Perplexité. J’entends le monarque murmurer « Bity ! Bity ! Ah les p’tit femmes, les p’tit femmes de Bity… » tandis que l’Éminence Grisâtre Terra-Neuvienne le fusille du regard.

- Bon, je ne vois pas comment y échapper… Je devrais prendre conseil auprès de Chirac…

- Gardez-vous en ! glapit l’E.G. On en ferait les gorges chaudes !

- Oui, mais il ne sied pas à un monarque tel que moi de n’avoir point de Première Dame. Je ne vais tout-de-même pas me rabibocher avec cette peste de Ségo ? Elle m’en a fait baver, des ronds de chapeaux, celle-là ! Tiens, si je piquais Pulpinard à Montambour ? Question de relations intimes avec la Presse…

- Malheureux ! Vous voulez mettre la zizanie au PS ?  Non, non ! NOUS vous procurerons un arrivage frais selon NOS goûts..

- Et les miens, ça ne compte pas ?

- Il faut savoir s’icliner devant la Raison d’Etat !

- Pauvre Valie ! Tout de même ! Enfin, bon, ai-je d’autre choix ?

- Nullement. Voici ce que nous allons faire : dans un premier temps, un bruit léger rasant le sol : « le Roi  révoquerait..

- Lady de Nantes ?

- Non ! coupa l’E.G., « une rumeur élyséenne évoque le renvoi de Mme Rottweiler par le Roi ».

- Hé ! Mais je devrais lui verser une indemnité de licenciement sur le train de ma Maison ?

(Le Terra-Neuvien, à part : ) – Qu’il est sot ! (plus haut : ) L’Etat lui fera une petite rente. Donc une rumeur, des indiscrétions assez précises pour que la presse en ligne s’en empare. Disons.. le Nouvel Obs, VSD, Voici, Gala…

- Ah oui, et Midi-Libre ?

- Si vous voulez.

- Et le Pingouin… heu.. Le Canard Enchaîné ?

- Peu importe. Ils publient. Les gens lisent. On dément. Tenez, une copine de la dame peut bien dire : « même pas vrai, d’ailleurs elle était au 14 juillet, si qu’elle était en bisbille avec Françou, elle n’y aurait pas été, passqu’elle n’est pas comme ça, elle ne fait pas semblant ! »

- Pas bête !

- Bon, on dément, et on dit aux journaux de la mettre en sourdine : ils virent les pages incriminées. Le grain est semé, on spécule, on sait pas sur quel pied danser, côté mal-pensants.

- Ils vont penser que c’est le boxon !

- Peu importe. Le tout c’est d’éviter de faire retentir la nouvelle comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ! On laisse mijoter, et puis crac ! Un commentaire laconique de l’Elysée : Rottweiler = virée ! Avouez que ça pulvérise l’effet d’annonce !

Le roi hocha tristement la tête : « Qu’il en soit ainsi ! »

- Et il en sera, Sire. Lorsque nous annoncerons la nouvelle favorite, la Presse sera respectueuse..

- Pas comme lors de la venue de Carla à l’Elysée, hein ?

- Non, non, nous tenons les média bien en main ! Bien le bonjour, Sire !

Je me dis que oui, la Presse se conduira comme une respectueuse. Marrant, cette manière qu’on avait jadis de parler des putains à mots couverts !

L’inquiétant personnage ayant disparu derrière la tenture, le Roi demeura un instant triste, la larme à l’œil. J’eus pitié, et me montrai :

- Tiens, Alfred ! Où étais-tu passé ? Ah ! Si tu savais ?

- Il ne sied pas aux pingouins de savoir, Sire. Allons marcher !

Alfred Le Pingouin.

 

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