Ce que vous n’aurez ni vu ni entendu

« Alfred, j’ai une interview télévisée ce soir ! »  dit Soliveau II. «  Demeure céans pour me dire si mon maintien est téléconvenable ! ». Je sens que je vais m’amuser. Entre la dame Chazal, toujours sémillante, même si elle commence à accuser des ans l’irréparable outrage. « Or ça, commençons donc, dame Claire, belle comme fille de Bity ! » Ben dis-donc ! Il a l’estomac, le Roi ! Pourvu que Rottweiler n’écoute pas aux portes ! Le roi frétillant : « Soumettez-moi les questions, nous nous entendrons sur la réponse. Étant Dame des Médias, vous savez ce qu’il faut ou ne faut pas dire ! » « Je suis votre servante, sire ! », répond la donzelle.

Ainsi commença la série des questions/réponses. Je m’avisai que le jeu était très évidemment truqué. Une bonne interview se fait en « live », c’est-à-dire : les journaleux, pas nécessairement brosse à reluire, posent à brûle-pourpoint les questions qu’ils veulent, et le Roi répond comme il peut. Mais nous sommes en France, pas sur la banquise : les journaleux sont automatiquement de gôche, donc brossent nécessairement dans le sens du poil. Tristes carpettes ! Enfin… Le Roi n’est pas du tout photogénique, rien à faire : sous quelque angle, le Roi apparaît sous les traits du Ravi, et les cadreurs en sont pour leurs frais.

La litanie des platitudes commence ; moi, ça m’agace, et sous prétexte de conseiller une meilleure grimace au Roi, je glisse subrepticement une feuille de quinze questions inspirées par mon complice l’Ours. Ne me demandez pas qui est l’Ours : secret d’État ! Toujours est-il que Chazal en arrive à cette dernière feuille. Elle a un moment d’hésitation :

« Pourquoi avoir choisi un ministre, heu …  condamné à six mois de prison ? »

Le Roi ne semble pas surpris par la question :

- « Eh bien, voyez vous, je n’ai pas trouvé un ministrable ayant purgé une peine plus longue. Ah ! SI nous avions Juppé ! Pourtant ce n’est pas l’envie qui me manquait ! Pensez, il aurait été le premier ministre Premier Ministre (oh! c’est bon ça, note Valérie, note!) exactement au courant des conditions de détention. Il aurait pu ainsi agir efficacement pour la réforme des prisons, afin d’améliorer le confort de nos jeunes de banlieues injustement punis par des magistrats indociles, qui n’écoutent pas assez les voix de MA raison. »

Puis, se ravisant : « Vous croyez que… ? » « Non, répond Chazal, je pense que nous allons supprimer ce passage. » La suite est moins grave, aussi Clarinette poursuit-elle d’une voix assurée :

« Pourquoi avoir pris 15 jours de vacances après seulement deux mois de travail ? » Puis se ravisant : «  C’est peut-être un peu osé, Sire ? »

Le Roi : «  Que nenni, c’est bien légitime. Voici ma réponse : Parce que c’est Moi, parce que je suis un Président Normal, et parce que le changement, c’est maintenant. Il y a déjà assez de gens qui se plaignent de n’avoir droit qu’à 5 semaines et d’avoir à attendre un an complet pour y prétendre. Je voulais à ma manière adresser un message fort à mes électeurs, leur faire comprendre que quand on veut, on peut, qu’il ne tient qu’à eux de faire en sorte que le changement, ce soit maintenant. »

« Magnifique ! s’extasie Chazal, c’est un rewrite du ‘Yes, we can !’ d’Obama ! Dommage qu’on ne puisse le passer à l’antenne, vu que les Français n’aimeraient pas ça ! » « A votre aise ! répondit Soliveau, Mais pourquoi ? » « Oh ! Simplement parce 42% des sujets n’on pas pu prendre de vacances. » « Ah bon ? s’étonna le Monarque, et si on émettait des chèques vacances à kroum ? » « Oh, Sire, quelle merveilleuse idée ! Cependant, différons ! » « Dommage ! » commenta le Roi, laconique. « Question suivante ? »

Chazal est nettement embarrassée. À part : « Du Diable si je comprends ! Je vais botter le cul à mes collabos ! Enfin…. » Puis, poursuivant :

« Est-il vrai que l’avion présidentiel volait au dessus du TGV vers Brégançon ? » Alors le Roi :

- « Non, non! C’est totalement faux! Imaginez, l’avion vole beaucoup plus vite. Il faisait de grands cercles au dessus de la voie ferrée. En cas de besoin il aurait pu me lancer une amarre et m’aurait treuillé, c’est normal. C’est qu’on ne sait jamais, avec ces petits galopins de la CGT : ils auraient pu faire, par inadvertance, une grève. J’ai trouvé ce moyen, un vrai moyen de changement, pour éviter le pitre. Hûûû.. non, le pire. »

Rendons cette justice à Clarinette : elle fut complètement éberluée : « Heu, bon, on supprimera aussi cette séquence ! » Alors Soliveau : « Oui, je reconnais, la CGT… Mais imaginez que la bande d’anarchistes corréziens ait saboté les caténaires, hein ! J’aurais eu l’air malin ! » Chazal ne commenta point. Elle continua, comme si la question suivante était normale :

« Comment expliquez-vous votre impopularité au bout de 100 jours seulement ? »

Le roi eut un haut-le-corps : «  Mais je ne suis pas impopulaire! Je suis normal! D’ailleurs tenez, je vous ai amené en cadeau quelques tomates bien mûres, des trognons de choux et même des pommes de terre. Ce sont des cadeaux spontanés que me lançaient les gens, à Brégançon. Ah! Le peuple m’aime ! Vous devez confondre avec mon prédécesseur, lui il ne l’aimait pas. »

Claire eut un recul devant l’étalage d’immondices reçus par le Sire. « Mais… Savez-vous qu’un récent sondage établit que votre prédécesseur, M. Morfalou, question dynamisme est estimé à 75%, et vous seulement à 27% ? Et que 57% estiment qu’il était plus apte à prendre les décisions nécessaires, alors que vous…31%. Ne parlons pas de la compétence : lui 50% et vous 38%. Ça fait désordre ! » « Oh ! Les sondages, les sondages ! grommela le Roi, c’est sûrement une officine de mal pensants qui a bricolé cela ! Bon, Dame Claire, je-suis-po-pulaire, donc on passe à autre chose ! »

« A votre aise ! Poursuivons… Hum… je me demande si l’on peut poser telle question ? Décidément.. (à part : ) Ces sagouins ! Ils veulent me couler, ou quoi ? Bon, enfin… Sire… »

« Je suis toute ouïe, comme la carpe ! » minauda le Roi…  « Il vaudrait mieux ne pas répondre à la question suivante ! » bêla Chazal. « Eh ! Pourquoi pas ? Dites ! » Alors Clarinette, résignée : « Pourquoi avez-vous supprimé les heures sup. à 9 millions d’ouvriers ? » Soliveau, triomphant : « C’est très simple : cela permet de vérifier dans des conditions saines que la grande idée des 35 heures fonctionne parfaitement. C’est normal. Ils me remercieront. »

Là, j’émets un « Kwark ! » de mécontentement. « Paix, Alfred ! Les Trent’sint’tseures, c’était une idée géniale : on travaille moins et on gagne moins. Mathématique, non ? Et si on travaille plus, on paie plus à l’État. Normal ! » Je me garde de répondre, après tout je ne suis qu’un Pingouin…. Le roi prend un air dubitatif : « Hum… Et si on coupait cette question ? » « Il vaudrait mieux, Sire ! » dit Chazal, soulagée. «  Soit ! Ensuite ? »

Clarinette s’éclaircit la voix, puis : « Pourquoi supprimez-vous systématiquement toutes les lois de M. Sarkozy ? » La réponse fuse en un instant : « C’est parce que Moi, je suis un président normal. Faire et défaire, c’est toujours travailler. C’est mes copains de Terra Nova qui me l’ont dit. » « Hum hum ! » fait une voix. Tiens ! L’éminence Grise Terra-neuvienne ! Je ne l’avais pas vue, celle-là ! Toujours dans l’ombre… Oh mais ! Il y a aussi son collège de Tartes sur Câble ! Décidément, le Roi ne manque pas de mentors. « On coupe ! décréta l’Eminence Grise. « Ainsi soit-il ! » conclut Chazal. « Bon, fit le Roi, ensuite ? »

Décidément, la belle Claire était dans ses petits souliers, aussi émit-elle d’une voix fluette : « Pourquoi stigmatiser ceux qui créent des emplois et des richesses ? Je vous en prie, Sire, cette question n’est pas de moi, elle vient de mon staff ! » « Oh mais ! dit le Roi d’un sourire niais, ce n’est pas impertinent. Voici ma réponse : Parce que le changement, c’est maintenant. L’autogestion des entreprises, la suppression du capital, la création de kolkhozes, tout ça est bel et bon pour le pays. Je rêve d’une grande Europe homogène. » Alors moi, qui n’en puis plus : « Soviétique ? » « Soviétissime ! Un vrai paradis des travailleurs ! ». « On coupe ! » brâma le représentant de Cartes sur Table. « Coupons, coupons, c’est le plaisir des Dieux ! » chantonna Chazal.

L’Eminence Grise perdait patience : « Madame Chazal, hâtez-vous de poser vos questions, qu’on en finisse ! » « Bien, Monsieur ! souffla Clarinette. Sire, comment comptez-vous trouver un job aux 5 millions de chômeurs ? » «  Alors là, c’est très facile. La moitié sera engagée en Contrat d’Avenir pour surveiller l’autre moitié. Chaque année, les rôles s’inverseront» répondit le Roi. « Censuré ! » hurlèrent de concert les officiers des officines.

Chazal : « Pourquoi Madame Taubira préfère-t-elle les voyous aux victimes ? » Le roi prit un air indigné : « Mais heuu! Parce que les victimes, ce n’est pas drôle! Ça pleurniche, ça geint! Les voyous, eux, portent beau, ont de la prestance, ils sont forts ! J’ai bon ? » demanda-t-il à l’Eminence Grise. « Nous y penserons ! répondit l’E.G. Question suivante ! »

« Le prix de l’essence n’a jamais été bloqué, pourquoi ? » Le roi, très innocemment : « C’est parce que, d’après les spécialistes techniques de l’Elysée, il aurait été très compliqué de renoncer aux pépètes que j’engrange à chaque tour de roue de ces idiots d’automobilistes. » « Mettez-y au moins les formes ! S’insurgea l’éminence de Cartes sur Table, il s’agit AUSSI de politique Arabe. Bon, on ignore. Chazal, continuez ! » Je voyais que la journaliste perdait de plus en plus contenance ; quelle pitié, une si jolie dame ! Elle se reprit :

« Les loyers n’ont jamais été bloqués, pourquoi ? » Le Roi siffla son air préféré : « Ah ! Les p’tit’ femmes, les p’tit femmes de Bity » puis asséna d’un ton de Massena : «  Eh bien, à la foire de Tulle, il y avait de très belles dindes. J’ai regretté que Ségolène n’y ait pas assisté, voyez-vous. Elle en aurait certainement été l’attraction principale. » « Très bon ! dit l’Eminence Grise ! Une esquive à la torero ! Continuez ! » Chazal enchaîna : « Vous laissez tomber la taxation des riches à 75%. Pourquoi ? » Le Roi, poursuivant son évocation nostalgique : « D’ailleurs, on y vendait aussi des noix. Des noix du Périgord. Elles sont très savoureuses, savez vous ? » « Heu.. Sire ! Vous ne répondez pas à la question ! Sauf votre respect ! Implora Clarinette. « Il a raison ! On passe ! tonna Tartes sur Câble. Allons en avant, ça commence à nous courir sur les haricots ! »

« Vous ne baissez pas les impôts pour les PME. Pourquoi ? » demanda Claire. Le Roi brandit un journal des courses : «  Parce que j’ai beaucoup d’admiration pour les chevaux. Cela coûte beaucoup d’argent d’entretenir des chevaux. Alors je ne veux pas priver les haras des ressources issues des PMU. Vous aimez les chevaux ? » « Objection ! » hurla quelqu’un. « Les ventes s’écroulent après le plan automobile de Montebourg, reprit hâtivement Chazal, pourquoi ? » Le Roi, manifestement, était ailleurs, dans sa chère Corrèze qui a donné tant de présidents et de Ministres : « Et puis il y avait aussi des marchands de vin. La foire de Tulle est une grande foire, avec au moins 30 exposants. J’ai goûté à tout! Oh! Quelle journée! » « Quel sagouin ! » grognèrent deux voix à part. Clarinette eut un sourire furtif, puis :

« Pensez-vous demander aux Français un vote de confiance ? » Soliveau, très digne, répondit : « - Heuu oui, certainement. En 2017, par là. Les Français ont confiance en moi, ce n’est vraiment pas la peine de les fatiguer avec des questionnements de petit enfant. Moi, je suis le Président Normal, ils le savent. Ils attendent le changement, et je le fais maintenant. C’est bien. Ils sont heureux. D’ailleurs regardez : il n’y a pas une seule manifestation de mécontentement, même pas de la part de la CGT. Pourtant c’est une belle bande de râleurs ! ». Moi, rongeant mon frein (enfin, façon de parler) : « Oh ! Ceux-là ! Les travailleurs, ils s’en foutent bien ! » Quatre paires d’yeux fusilleurs me firent taire, mais je me marrais en douce.

« Merci, Monsieur le Normal. Oh! pardon! Monsieur de Maintenant. » conclut Chazal. « finalement, nous n’allons pas retenir ces quinze dernières questions, probablement ajoutées par erreur à ma liste ! » « Si fait ! » répondit le Roi.

Lorsque tout le monde eut quitté le bureau, le Roi me prit par l’aileron : « Il y a quelque diablerie là-dessous, Alfred ! Marchons ! »

Alfred-le-pingouin (avec la complicité de l’Ours)

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