Demain soir, ne manquez pas le Très-Bête-Show

« Alfred ! C’est la cata ! » me dit tristement Soliveau, déambulant avec moi dans le parc élyséen, « je dois m’adresser au pays et je ne sais pas quoi dire ! » « Restez naturel, Sire, répondis-je, ainsi personne ne sera surpris ! » Le Roi ne l’entendit pas de cette oreille : « Quoi ! Mais je dois justement les surprendre ! ». « Ah ! » fis-je, « mais pourquoi déranger ainsi les réveillonneurs ? » « Parce que rien ne va plus, ragea le monarque, je plonge dans les abscisses des sondages.. » « Les abysses, Votre Majesté, sauf votre respect ! » corrigeai-je. « Comme tu voudras ! Mais avec 37 pour cent de gens satisfaits… »  maugréa-t-il. « Certes, cela ne fait que soixante-trois pour cent de mécontents, commentai-je narquois, et même une majorité regrette maintenant votre prédécesseur ! » « Assez, stupide animal ! rugit le Roi, ne retourne pas le pistolet dans la plaie ! » « Ouais, dit la voix de la Conscience sortant d’un buisson de Popotex Vulgaris au coin d’une allée, et le Conseil d’État qui fout en l’air votre projet de confiscation de 75% des gains… »

Soliveau-le-Minuscule fit un bond, griffes en avant, en direction de la voix, mais le fantôme de la Conscience esquiva en rigolant. « Il faut bien reconnaître, Sire, que vos six mois de pouvoir ne vous ont guère couvert de gloire ! » dis-je. « Ah oui ? Et pourquoi, je vous prie, môssieur l’impertinent amphibie ? » « Ah ! Ah ! Ah ! ricana la Conscience virevoltant autour du Roi, Arcélor, le léchage de babouches à Alger, Depardieu devenu un symbole de la résistance fiscale, le projet de mariage des tarlouzes, une loi fiscale pour 2013 qui va tout flanquer par terre, avec ça il n’y a pas de quoi se faire de la bile ! » « Oh ! Celle-là ! grinça le Roi ! Pire que Valie ! » Je fis un clin d’œil à la Conscience, et tâchai de calmer le monarque : « Allons-donc, Sire ! Examinons calmement la situation cataclysmique et tâchons d’y obvier ! » « C’est cela, répondit le Sire, examinons le cataplasmique et tâchons d’en dévier ! » Il marcha un moment, taciturne, puis : « Mon bon Alfred, je m’en remets à ta sagesse de pingouin. Que faire ? »

« Voilà, Sire : l’an qui vient sera catastrophique ! » « Hélas, gémit Soliveau, on me promet un anus hémorroïdus ! » « Annus horridus, sauf votre respect, Sire, corrigeai-je, ce qui signifie que l’an treize point bon ne sera, mais que point n’aurez forcément besoin de vous soigner à l’intrait de marron d’Inde ! » « Ah ! C’est déjà ça ! se réjouit le monarque. « Si fait, dit la Conscience d’une voix suave, ce sont les contribuables qui auront à soigner leurs hémorroïdes vénériennes ! » « Ah, si ce sont les cochons de payants, se réjouit le Roi, je ne m’en fais pas. » Puis revenant à moi : « Mon bon Alfred, quelle est la situation ? » La Conscience allait répondre, mais je lui fis signe de patienter. « Sire, tant grande est votre munificence, le flattai-je, que sans conteste vous êtes le symbole de la Tortue-Piquet ! » Soliveau eut l’air encore plus éberlué que d’habitude : « Qu’est-ce à dire, cher Alfred ? » Je m’efforçai de ne pas regarder la Conscience s’esclaffant dans le dos du Monarque, et expliquai : « C’est un très vieux et très vénérable symbole des Indiens Arumbaya, correspondant au dicton « démerdtoi siontakolélà », en patois local. » Le Roi fit mine de penser, puis, en panne de cogitations : « Mais qu’est-ce à dire ? »

« Sire, le questionnai-je, une tortue peut elle grimper sur un piquet par ses propres moyens ? » « Certes non, répliqua le monarque, ces lémuriens rampent péniblement sur le sol. » « Adoncques, repris-je, comment une tortue peut-elle être juchée sur un piquet ? » Le Roi se gratta le nez, puis énonça triomphalement : « Pardi ! C’est qu’on l’y a montée ! » « Exactement, dis-je, et une fois en haut du piquet, que fait la tortue ? » « Ben… fit le Roi, elle a le vertige, et… elle ne sait pas comment régler le problème ! » « Voilà ! conclus-je, vous voyez maintenant le rapport avec votre situation ? » « Que nenni ! » dit le Roi, penaud. La Conscience intervint : «  Ô Vous le plus inoxydable des monarques, comment vîntes-vous céans ? Je veux dire, pouviez-vous seul, par votre mérite, arriver président ? » « Heu… (pleurnichant :) Je voulais pââââs ! C’est eux ! » répondit Soliveau. « Oui, les gauchistes, les terra-neuviens, les musulmans, les déviants… », commenta la Conscience.  « Et maintenant, comment faites vous ? » « Beuh ! Chais pûûûû, chuis coincé ! » « Donc ils vous ont mis au piquet, commentai-je sentencieusement, et vous êtes embarrassé comme la tortue, ou comme une poule qui aurait trouvé un couteau. » « Voui ! fit le Roi d’une voix plaintive, j’étais mieux à Tulle, même que Valie… » Puis se reprenant : « Mais c’est pas l’tout ! Kesque j’vais leur raconter demain soir, hein ? J’aimerais qu’on m’aime, moi ! » « Oh, tranchai-je, il ne faut pas demander l’impossible, avec tout ce que vous leur faites ! »

Un silence s’installa. Puis, ayant consulté la Conscience d’un coup d’œil, j’énonçai : « Le mieux est de sacrifier au rite Arumbaya de la Tortue-piquet. Il conjure le mauvais sort. » « Ah ? fit Soliveau, en quoi cela contriste-t-il ? » « Facile, répondis-je, il faut édifier un totem de Tortue-Piquet et danser autour en faisant des incantations. » « Il serait bon de saisir l’occasion pour répéter le show télévisé de demain », renchérit la Conscience.  « Bon, ça, môssieur ma Conscience ! » jubila le Roi. « Commençons donc par planter le totem-pole » dis-je. « Ah ? Un totem Paul ? Comment ça ? » fit le monarque. « Un piquet avec une tortue à votre effigie » expliqua la Conscience. « Et pourquoi à mon effigie ? » s’inquiéta Soliveau. « Pour que la magie opère ! Vous devez vous identifier au totem, ce qui sera simplissime pour Vous » dis-je doctement. « Bon, on va arranger ça. J’ai justement une cinquantaine de piquets en châtaigner rapportés de Corrèze… Je voulais construire une volière à l’Elysée, j’adore les œufs frais, mais Valie a dit que ça faisait plouc ! » On édifia donc le totem, solidement fiché en terre.

« Á présent, dis-je, il vous faut vêtir en Grand Prêtre de la Tortue-Piquet ! Et tout d’abord, orner votre visage, pour réparer des ans l’irréparable outrage, d’une peinture guerrière. » « Ah bon ? s’étonna le monarque, et de quel style ? » La Conscience réfléchit un instant, puis : « Vous prônez le patriotisme fiscal, ce me semble ? Arborez les couleurs nationales ! » « Bien sûr, suis-je bê… étourdi ! » clama Soliveau. Nous le laissâmes se peindre en drapeau Néerlandais, les bandes tricolores étant horizontales, sans piper mot. Cependant, je soudoyai Carmen Lingue, la camériste de Rottweiler, pour qu’elle allât dérober dans l’armoire de sa patronne le magnifique déguisement d’Indien que celle-ci aimait porter à Brégançon « pour faire plus nature ». En pouffant, le Roi enfila la parure. Une plume arrachée à un dindon en attente d’être plumé aux cuisines, et une hachette dérobée à un jardinier du Palais complétèrent le tableau.

« M’y voici donc ? demanda le monarque, suis-je fin équipé ? » « Si fait, Sire, assurai-je, à présent il convient d’apprendre le pas de la danse sacrée. Voici comment l’on s’y prend. » J’esquissai une vague danse du scalp en tournant autour du totem. « Facile ! dit le Roi, je n’aurai aucune peine ! » Et il partit à se contorsionner  comme un Apache en proie au délirium tremens cherchant à éviter une collision avec des éléphants roses. Je dus prendre sur moi de ne pas éclater de rire, surtout en voyant la mine hilare des gardes du corps et des jardiniers fortement intéressés par la démonstration.

« Voilà qui fera merveille devant le Peuple, dis-je, mais il ne faut pas oublier de psalmodier les mantras en dansant, afin d’entrer complètement en transes. » « Ah ! fit Soliveau, et quels sont ces mantras, je vous prie ? » Fort doctement, la Conscience les lui exposa en strophes trochaïques et bientôt le Roi reprit sa danse primitive sur un air archaïque : « Bonne année les français/ Vous n’avez pas l’air frais/Ne soyez pas bégueules/Me faites pas la gueule/ Mais j’aurai Dieu merci/ Grâce aux gars de Bercy/En impôt bel et bon/Beaucoup de beau pognon/ En cette année qui vient/On vous tondra très bien/C’est par patriotisme/Et pour le socialisme/Que vous allez, ma doué/Cracher au bassinet/ » Nous ajoutâmes quelques vers de mirliton bien sentis, répétés comme un kyrie : «  Le P.I.B mont’ra/Le P.I.B. mont’ra/La dette elle descendra/ La dette elle descendra/Le chômdu baissera/ Le chômdu baissera/Et vous r’cevrez d’l’État/ des barres de chocolat ». Et pour faire bon poids : « Pour k’tout ça s’réalise/ Pas b ‘soin d’mouiller la ch’mise/Yaka tenir les murs/Mais payer c’est plus sûr/Si vous n’me croyez pas/ Le cul on vous bott’ra ».

Je ne vais pas vous dévoiler toute la teneur du très-bête-show royal de demain soir, vous pourrez juger sur pièces devant votre écran plat géant en rotant le mousseux. Sachez simplement que nous avons persuadé le Roi de terminer sa mélopée par « Hourra ! Cornes au cul ! Vive le Père Ubu ! » J’espère qu’il n’oubliera pas. Ah, j’oubliais : le pas que je lui ai appris s’appelle, chez les Arumbaya, « Danse-du-guerrier-qui-n’a-personne-dans-sa-tête » ; mais peut-être cette précision sera-t-elle superflue ?

Alfred.

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