Une partie de campagne

Nous déambulions, Soliveau II et moi, dans les galeries de l’Elysée. Le roi faisait grise mine, se grattant par intervalles le poignet gauche, signe d’extrême angoisse. J’attendais qu’il se risquât à rompre le silence lorsqu’enfin : « Mon bon Alfred, rien  ne va plus ! » « Mais, Sire ! Tout semble quiet ! » le rassurai-je hypocritement. « Ah oui ! C’est moi qui suis inquiet. Un  million de protestants dans les rues de ma capitale ! » « Vous voulez dire, Sire, de protestataires ? » « Si fait ! Ces misérables s’avisent de contrarier nos desseins ! » « Certes, Sire, mais vous avez le soutien de vos chers journaleux et de Caroline Fourest. » « Ah ! Celle-là ! ronchonna le monarque, elle ferait mieux de se taire ! Une citoyenne de Lesbos ne peut pas être à la fois juge et partie. » J’admirai l’allusion. La Conscience surgit d’une commode Louis-quelque-chose de chez Ikéa. « Manquait plus que çui-là ! » fit le roi d’un ton désespéré. « Roi ! Le tança la Conscience, il est démontré que ton projet de marier les déviants est insensé. Pourquoi t’obstiner ? »

Soliveau jeta un coup d’œil circulaire, s’assurant que nul n’espionnait et surtout pas Rottweiler, puis chuchotant : « Ce n’est pas que je suis fanatique du projet ! Le mariage… Tenez, moi j’ai bien eu quatre rejetons d’une courtisane… » « Alors pourquoi vouloir marier les dérangés ? insista la Conscience, mieux vaudrait enterrer l’affaire. » « C’est que… Valie y tient, et Bitaura aussi, comme Duflotte… geignit le monarque, elles me poussent aux fesses ! » « Mais, répondis-je, vous êtes le roi, il est en votre pouvoir de les envoyer balader ! » « Ah ! Mon bon Alfred ! Si c’était si simple ! » La Conscience compatit : « Eh oui ! Toute la bobocratie dégénérée fait un foin d’enfer. Et puis, n’est-ce pas, c’est un bel os à ronger pour le Peuple… » « Exactement, renchéris-je, pendant ce temps il oublie la déconfiture économique et sa situation très précaire ! » « Paix là-dessus ! » intima le roi. Nous reprîmes notre voyage péripatétique.

Soliveau demeure rarement silencieux : « De toute façon, j’ai de quoi redorer mon blouson ! » « Votre blason, Sire ? m’étonnai-je, et comment ? » « En faisant comme mes prédécesseur : en devenant Chef de Guerre ! » dit le roi en avançant le menton à la manière mussolinienne. « C’est grande merveille, Sire, le flattai-je en retenant mon rire, voudriez-vous égaler votre prédécesseur qui conquit la Lybie ? » « Ah ! Çui-là ! grinça le monarque, qu’on ne me parle pas de ses alibis. J’ai les miens : une partie de poker-menteur la nuit du crime, en compagnie de quatre… Mais qu’est-ce que je raconte ! » La Conscience dressait l’oreille : « Ah ! Faire la guerre au Mali, je suppose ? C’est malin ! » Soliveau se rengorgea : « Parfaitement, môssieur ! Et mali soit qui mal y panse ! » « Bon sang, mais c’est bien sûr ! fis-je, mais… » « Mais ? interrogea le Roi, sourcils froncés, précise-donc ta pensée, batracien amphibie ! »

« Loin de moi le mal penser, l’assurai-je avec une auréole de 5000 watts autour de la tête, ce que je vous dirai n’est point ma pensée, mais celle de vos détracteurs ! » « Eh ! Je ne suis pas Bouérou, je n’ai pas de tracteur, moi ! » plaida le monarque. « Je voulais dire : de vos adversaires » corrigeai-je. « Ah ben tu es à côté de la plaque, ricana Soliveau, la classe politique m’approuve ! » « Ce qui montre à l’évidence que c’est une bande de cons ! » dit la Conscience. « Si fait ! repris-je en hâte, je veux parler des irréductibles, des libertariens, des ennemis de l’État… » « Oh ! Ils sont bien peu nombreux ! jubila le roi, mais dis toujours ! »

« Eh bien, commençai-je, l’antique royaume de Ségou, le Mali, n’est guère riche, et son sous-sol ne renferme ni minerais ni pétrole : la honte de la géologie ! Nous n’y avons donc aucun intérêt. » « Billevesées ! grogna le roi, continue ! » « Vous avez proclamé la fin de la France-Afrique, poursuivis-je, et juré de ne pas vous mêler des affaires africaines ! » « Ouiiiiii, mais c’était simplement pour dire ! » se justifia Soliveau. « Et fin 2012 vous avez affirmé ne pas vouloir intervenir au Mali. » « Ah ça ! rouspéta le monarque, tu as la mémoire trop longue autant que la langue ! Je vais te marcher sur les pieds ! » « De grâce, s’interposa la Conscience, le seigneur Alfred ne fait que rappeler un fait avéré ! » Soliveau fit une moue cocasse, puis : « Et alors ? J’ai changé d’avis, c’est tout ! » « A merveille ! dis-je, voilà une excellente raison subséquente et à laquelle seul un abominable démocrate trouverait à redire. » Puis, ayant échangé un clin d’œil avec la Conscience : « Mais ce n’est pas le tout : avoir l’âme d’un chef de guerre, c’est bien ; en avoir l’habit, c’est mieux ! »

Le roi eut l’air perplexe : « Et quel habit prendre ? J’ai essayé le petit chapeau de Napoléon : il ne me va pas du tout. Ni la casquette du Père Bugeaud. Ni l’uniforme de Foch. Ni celui du Commandeur… » « Normal, persifla la Conscience, après votre voyage à Abou-Dhabi, vous êtes à bout d’habits. .Ah ! Ah ! Ah ! Le roi est nu ! » « Il y aurait bien une solution… » dis-je perfidement. « Ah ! Laquelle ? » s’enquit le roi. « C’est une guerre africaine, donc il vous faut un habit de chef de guerre africain. » « Voilà qui est sensé ! glapit joyeusement Soliveau, mon bon Alfred, aide-moi à confectionner la vêture adéquate ! »

« Il vous faut d’abord dénuder », commençai-je. « Non ! Gardez votre caleçon ! interrompit la Conscience, il y a assez de misère vestimentaire en Afrique ! » « Si fait ! dit le roi, ensuite ? » « Ensuite… cachez votre misère sous un pagne en raphia… Non, disons : en tissu… » « Après vous être colorisé à l’aide de cirage », suggéra la Conscience. « Et pourquoi, je vous prie ? » questionna le roi. « Parce qu’un chef de guerre africain est noir. S’il était blanc, ce serait un honteux colonialiste » répondis-je. Le monarque s’appliqua à appliquer le cirage ; je l’aidai à orner son faciès d’une peinture de guerre sobre, mais de bon goût. Un bracelet de cuivre à chaque bras, et une moumoute rouge à chaque cheville complétèrent la parure. Nous le contemplâmes un moment : il manquait quelque chose.

« Sire, suggérai-je, il sied d’arborer des os dans le cartilage nasal et au lobe des oreilles ! » « Ah non ! protesta le roi, pas d’os ! C’est bon pour Bitaura, ça, c’est les cannibales de son coin qui en portent ! » « Qu’à cela ne tienne, dit la Conscience, des morceaux de bambou feront l’affaire ! » « Vous croyez ? » demanda Soliveau. « Pour sûr ! C’est même du dernier chic à Bamako ! » « Oui, mais ça va me faire mal ! » couina le roi. « Oh, le rassurai-je, ce n’est qu’un horrible moment à passer, mais moins pénible qu’une palinodie ! » Nous vînmes à bout du royal cartilage. Cette foi, le monarque était vêtu de pied (nu) en cap. « Passons à l’armement ! dis-je, en défensif, naturellement, un solide bouclier en feuilles de bananier tressé. » « Bien entendu, acquiesça le roi, et pour l’offensif un FAMAS … » « Fi, Sire ! intervint la Conscience, votre train de maison ne permettrait pas la dépense, et en outre le budget n’autorise pas d’excessives prodigalités guerrières ! »

Soliveau eut l’air perplexe : « Je ne vois pas en quoi… Il y a des contribuables, pour payer, non ? » « Sire, dis-je d’un ton sentencieux, vous êtes un grand suzerain, donc vous devez donner l’exemple de l’économie, même dans la guerre ! » « Voyez comment les maliens eux-mêmes sont disciplinés, avares de munitions : à l’exercice, ils n’utilisent même pas de cartouches à blanc : ils imitent le cri de l’AK47 » dit la Conscience en lui montrant un film sur son Ipad. « C’est magnifique ! s’extasia le roi, je prendrai donc une sagaie ! » « Point donc ! dis-je, il ne sied pas à un grand chef de porter l’arme du fantassin de la brousse. Ce qu’il vous faut, c’est le sabre – d’abattage ! » On dénicha un vieux coupe-coupe chez le jardinier.

Ainsi troussé, Soliveau pouvait partir en guerre. Cependant … « Il vous faudrait, Sire, un chant guerrier ! » annonçai-je. « Que diriez-vous des « Africains » ? Je ne le connais pas, mais vous me l’apprendrez ! » suggéra le monarque. « Non point, le changement c’est maintenant : inventons-donc un chant du départ ! » encouragea la Conscience. Nous travaillâmes à composer un chant martial commençant par : « Mamadou n’avait pas d’OTAN/ Et ça lui faisait mal aux dents /Mais voilà Grand Chef Mimolette / Qui arrive sur sa Mobylette » etc… On était parti pour une glorieuse campagne, scrogneugneu !

Alfred.

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