Monsieur Bricolage

« Alfred, La Conscience ! Puisque vous êtes deux sagouins facétieux, je m’en vais vous montrer une vidéo tournée ce matin même ! », nous dit le Dr Alonzo Tromondada d’un ton de conspirateur. « Suivez-moi ! » Nous emboitâmes le pas au vénérable analyste, qui nous expliqua en chemin : « J’ai entendu hier au soir mon patient : il a nommément évoqué une boite à outils lors de sa prestation télévisuelle… » La Conscience ne décocha en rigolant un coup de coude. « … Je me doutais bien que c’est vous deux qui, une fois de plus, lui avez suggéré cette métaphore grotesque pour faire rire le peuple ! » Comment ne pas plaider coupable, puisque nous avons bien rigolé en apprenant que Soliveau le second venait d’être affublé du sobriquet de « Monsieur Bricolage » par les mal pensants ?

« Toujours est-il que cela m’a donné une idée, reprit Tromondada, étant donné que les séances sur le divan, où Sa Majesté est censée parler jusqu’à l’anamnèse, finissent très généralement par une agitation extrême, je me suis demandé si je ne pourrais pas avoir recours aux techniques utilisées pour les jeunes enfants… » « Recte, l’interrompis-je, puer insanus est, c’est un enfant dérangé ! » « Vous n’imaginez pas à quel point ! », soupira le psy, « Toujours est-il que je l’ai persuadé de demeurer une heure dans une salle de relaxation attenante à mon cabinet. Sur une moquette confortable gisent des jouets et quelques accessoires puériles, le patient y demeure, libre de jouer à sa guise, sous l’œil d’une caméra cachée. »

Alonzo démarra la lecture du disque de la caméra. Seul dans la pièce, Soliveau commença à arpenter la moquette, la main droite dans son gilet, l’avant-bras gauche passé sur les reins, avec un sourire sardonique. « Je suis l’Empereur de tous les Français ! » énonça-t-il à l’adresse d’un nounours gisant dans un coin. Comme la peluche ne bronchait pas, il s’empara d’une figurine Playmobil – Combattant du Dragon Rouge – qu’il brisa tout net, projetant les morceaux vers le nounours : « Je suis en ordre de bataille ! ». « Il se prend pour une armée ? » demanda La Conscience. « Je pense qu’il poursuit sa dérive identificatoire, commenta Tromondada, et qu’il est victime d’un délire mégalomaniaque. » « Paraphrénie ? » hasardai-je. « Incontestablement ! répondit le psy, le diagnostic est confirmé. Mais en l’occurrence, il vient de détruire un jouet symbolique de la virilité que son père a vainement tenté de faire émerger chez lui. »

Un moment après, Soliveau découvrit un short, une paire de grosses basquettes, un gilet rouge rayé de noir. Illico, il se dévêtit puis se para de cet accoutrement. Puis, avisant sa veste, il retira d’une poche un chiffon pelucheux et sale, qu’il porta à sa joue : « Doudou ! Doudouououou ! » couina-t-il. « Nette régression ! remarqua Alonzo, complexe de Linus… » « Certes, dis-je, cela aurait-il un rapport avec le pingouin de Linux ? » « Probablement, il joue sur les signifiants… répondit le psy, … signifiant transféré vers un autre par votre intervention, mon cher Alfred ! » J’évitai de rétorquer, La Conscience n’en pouvant plus de rire. Soliveau s’assit, suçant son pouce, le doudou toujours sur la joue. Longtemps on n’entendit que le bruit de la succion, tandis que le roi demeurait le regard vide. « Électroencéphalogramme plat ! » ricana La Conscience.

Le monarque contempla les vestiges du guerrier, puis éclata en sanglots : « Ha cassé le jouet ! Ouiiiiinnnn ! ». Il se remit sur pieds, sans lâcher le doudou, et entreprit d’explorer le tas des jouets. Il y découvrit une splendide boite à outils qu’il traîna au milieu de la pièce. Assis, il ouvrit le couvercle, déplia les godets, puis du regard en inventoria le contenu, avec un air de jubilation complète. « Nous y sommes ! commenta Tromondada, regardez bien ce qui suit ! » Le roi rampa sur la moquette et rassembla les pièces éparses du guerrier Dragon Rouge, ainsi que des débris de jouets divers. « Ce n’est pas possible !, dis-je, il ne fait pas la différence ? » « Il faut croire que non, répondit Alonzo, regardez ! » Soliveau tâchait d’enfoncer une énorme vis en plastique en lieu et place du bras droit de la figurine. Comme il n’y parvenait pas, il fouina dans la boîte à outils : « Ah ! Oui ! Fan-Fan a besoin d’un outil ! » commenta le patient. Il hésita longtemps avant de choisir une clé à molette, une seringue et un tournevis. Constatant qu’à l’expérience la clé était de piètre usage, le roi s’empara de la seringue, qu’il tenta d’actionner comme un tournevis, sans plus de succès. « Faut modifier les paramètres ! Faut… para…mètres, nom de Jarnac ! », hurla-t-il en projetant les deux premiers outils à travers la pièce.

Soliveau prit le tournevis par la lame, et tenta de visser, mais évidemment cela ne marcha pas. « Bouououh ! Sale jouet ! », explosa-t-il, et il entreprit de pulvériser la cuirasse du petit guerrier. « Vous constatez, commenta Tromondada, que le sujet souffre, en plus de sa psychose, d’une apraxie idéomotrice – votre ami Vautrin parlerait, lui, d’atechnie. » « Ce qui veut dire ? » demandai-je. « Ce qui veut dire qu’il est inapte à toute activité technique ! Oh ! Le beau cas ! » « Finalement, épilogua La Conscience, le coup de la boite à outils, c’était bien vu ! » « Et comment !, dis-je, mais je le savais maladroit, pas atechnique. Est-ce que la boite à outils est symbolique ? » « Oui…Et non ! expliqua le psy, je crois qu’il y a chez lui un désir inconscient de réparation, et que la boîte à outils le tranquillise. En cela, elle est symbolique. »

« Ben oui, rétorquai-je, mais s’il ne sait pas travailler ? » « Regardez la fin, vous allez comprendre ! » dit Alonzo. Soliveau explorait fébrilement le contenu de la boite à outils. Soudain, son visage s’illumina, et il lâcha son doudou : il tenait en main une pince à dénuder d’électricien. « Une épince ! Une épince ! » glapit-il. Puis, chantonnant, tout en manipulant l’outil en tous sens : « Un lapin… la lapin ça lingeueue… la pince à lingeueueue… la pince Bruxelleueueue… la pince à découper.. la pince à dénuder… à dénuder ! » Puis dans un eurêka retentissant : « Je vais dénuder les contribuables, et pis tout l’monde ! » Là-dessus, il reprit son doudou, se coucha sur la moquette et s’endormit. « Vous voyez !, commenta Tromondada, il dort comme ein bédit bébé (aurait dit mon confrère Freud), car il a achevé sa régression, ayant découvert l’objet pour assouvir son fantasme ! »

« Donc, risquai-je, ce n’est pas la boite en soi qui l’intéresse, ce sont les outils de domination qu’elle contient ? » « Exactement ! approuva le psy, son délire mégalomaniaque devait rencontrer ses moyens d’action. Et là, la pince à dénuder n’est pas un symbole, c’est vraiment un outil ! » « L’ennui, philosopha La Conscience, est que de cet outil-là, il sait se servir ! » « Disons… que ses sbires savent s’en servir, parce que lui-même… », fis-je observer. « Sélakélos ! » conclut sobrement Alonzo Tromondada. « Bon, assez ri, décréta-t-il, je dois recevoir Bitaura, maintenant. » « Encore un cas désespéré ? » demandai-je. « Oui, et en pleine crise ! Hier, à Lyon, sans les CRS les gens de La Manif l’auraient rudoyée. La pauvre vieille en est toute retournée ! » « Bah, dis-je désabusé, même retournée, une vieille peau reste une vieille peau ! » Là-dessus, nous laissâmes le Dr. Tromondada à son art.

Alfred.

 

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