Pas besoin de chef

Grand Timonnier (small)Petites annonces :

154-12 : Gouvernement de rencontre, souffrant de pléthore de ministres tirant à hue et à dia, cherche Chef d’État désespérément. Faire offre à F.H., Palais de l’Élysée.

154-13 : Parti de l’opposition en butte à luttes intestines cherche Homme providentiel. Faire offre à UMP 238, rue de Vaugirard – 75015 Paris.

154-14 : Ensemble de l’opposition cherche Chef en vue de campagne présidentielle 2017. Faire offre sur n’importe quelle chaîne TV.

On dirait que les citoyens ont un comportement infantile et qu’il leur faut un « Líder Máximo » du style Castro ou Chavez, ou encore un Führer, Duce, Petit Père des Peuples, Empereur, Grand Timonier, bref : un Père, à la fois fouettard et plein de cadeaux, supérieurement Intelligent et bien dans le sens de l’Histoire. Ils espèrent ainsi se dépatouiller en laissant à un autre le soin de leur propre responsabilité. Comportement de bébé, mais aussi d’esclave.

On aurait parfois l’impression du comportement du zoon politicon, animal politique mû par la pulsion grégaire avec une place prépondérante faite au meneur, chien alpha, chef de meute etc… Mais nous ne sommes pas des animaux, même si notre être participe également de l’animalité par la matérialité du corps. Nous sommes êtres de culture, et qu’on le veuille ou non, la société n’est pas la horde, le chef n’est pas le mâle alpha. Il n’y a probablement jamais eu de horde primitive humaine : là encore on est en plein dans le mythe. Il est d’ailleurs amusant de remarquer que nombre de tyrans – Napoléon, Hitler, Staline, par exemple – étaient de petite taille (1m70, 1m73, 1m65) et assez peu esthétiquement, voire génétiquement, favorisés par la nature. Comme « mâles alphas » on fait mieux ! On peut généraliser aux personnages de l’époque contemporaine.

Il est difficile de saisir quels ressorts jouent dans la constitution du mythe du Chef. Les religieux de chez nous avaient réglé la question à leur manière : le Chef a reçu l’onction divine, et comme Dieu est le Meneur Suprême, tout va bien. Nos Rois ont bien profité de cette mystification, et nos Présidents en ont hérité. D’où les crimes de lèse-majesté et l’offense au président de la république. Mais l’on voit bien que la croyance dans le mythe du Chef ne s’explique pas par ces pauvres artifices religieux : il y a des procédés sociologiques à l’œuvre, qu’il faudrait étudier de près pour les comprendre et s’en prémunir.

En tous cas, s’il n’y a pas de comportements de horde chez l’humain, il y a des comportements tout aussi imbéciles qui font oublier aux citoyens que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement en la Nation », c’est-à-dire dans la délégation négociée du pouvoir inhérent à chacun des citoyens. Qui reçoit délégation du pouvoir est mandaté, il ne reçoit pas de chèque en blanc, et il est comptable de ce pouvoir délégué qu’à un moment où à un autre il doit rendre.

Cependant, force est de constater que nos modes de délégation font que même élus avec une minorité du corps électoral, les chefs se croient investis d’un pouvoir dépassant de très loin le mandat que leur ont donné les électeurs. Et, pire, que les électeurs aiment à se sentir « gouvernés » au-delà même de ce qu’ils consentiraient à accepter, en termes de contrainte, d’un quelconque de leurs semblables. On exige compétence technique, finesse et prescience (gouverner, c’est prévoir, dit-on) quitte à avaler les pires couleuvres et à laisser petit à petit s’étioler l’autonomie fondamentale de la Personne. Le Chef devient rapidement omnipotent et l’on attend de lui le Salut. Il n’est plus guère, alors, que le pasteur paranoïaque d’un troupeau : retour à la case animale. De Gaulle ne croyait pas si bien dire en traitant les Français de veaux.

 Le pire, mais aussi intellectuellement, le plus amusant, intervient lorsque le « chef » élu par une fraction minoritaire du corps politique (par exemple 39% de celui-ci) s’avère incapable. C’est ce que connaît la France en ce moment, au grand dam de la majorité des Français et au désespoir du parti du chef. En y regardant de plus près, l’actuel chef de l’État n’est pas plus incapable que ses prédécesseurs, lesquels ont avec une belle constance gouverné des décennies durant avec un appareil étatique omnipotent hérité du socialisme et de la « lutte des classes ». Tous ont mené la politique du chien crevé au fil de l’eau, accordant ici et là des avantages à des groupes de pression (syndicats, banques, minorités actives, immigrés) et finalement endettant tellement l’État et les collectivités que la situation est sans issue, à moins d’une rupture violente (mais nécessaire).

Simplement, l’actuel chef suit une pente idéologique, incapable de museler son extrême gauche, sa gauche, son centre, sa droite, ses alliés douteux. On a l’impression -et c’est en fait la réalité- que le pouvoir délégué à cet homme par une minorité éclate en une myriade de pouvoirs autoproclamés : un régime des partis, capable des pires dérives. En outre – toujours le mythe du Chef- le personnage manque singulièrement de cette onction qui fait respecter un chef d’État au-delà des frontières : celui-ci est objet de dérision.

On comprend que les Français se sentent floués. Il y a une frustration, mais cette frustration est bien la conséquence du mythe du Chef (autant que de l’imbécillité du choix de 2012). Alors, on cherche un chef de remplacement. Ce ne sont pas les prétendants qui manquent, mais ils sont au Chef ce que le geai est au paon : rien ne sert de se parer de grandes plumes si l’on n’a pas aussi de vilaines pattes et un cri affreux.

Il faudrait tout de même raison garder : nous n’avons pas besoin d’un Chef, mais très exactement d’un délégué (légal, donc) légitime (donc recevant du peuple un jugement positif de valeur). Il n’est pas là pour nous diriger ni nous transformer (ce qu’essaie de faire Hollande par forfaiture), mais très exactement pour exécuter notre volonté négociée. C’est le sens même de « administration » : ad-ministerium, agir pour autrui. Qu’il commande l’administration et les trois grands ministères régaliens, certes. Il est comme l’avocat qui négocie pour nous et exécute pour nous. Il est notre serviteur et non notre maître. Au-delà, il ne peut s’arroger le droit d’outrepasser son mandat et d’attenter à l’autonomie des citoyens, quelques soient les formes et les motivations (toujours « bonnes », comme les intentions pavant, dit-on, l’Enfer) de l’attentat.

Pour le moment, je ne trouve aucun national-libéral à qui déléguer mon pouvoir. Mais en aucun cas je ne veux de chef.  Faites comme moi !

Sacha.

Share
Cette entrée a été publiée dans A la Une. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Les commentaires sont fermés.