Le songe de Soliveau

RVB de base«Biolay, LaitBio, Allah Noah ou snack-bar ! LaitBio au Paradis… tititit… » chantonnait Soliveau en se rendant au cabinet du Docteur Alonzo Tromondada. Manifestement, les éructations des deux histrions avaient dû le réconforter au lendemain de la splendide déculottée du 25 mai. Mais son teint blême et sa démarche titubante démentaient cet air primesautier de façade. « LaitBio le vol Noahar-désir des corbeaux sur la peineueu… Sur Le Peneueueu » poursuivit-il en poursuivant également l’huissier impassible qui frappait à la porte du psychiatre. La Conscience permuta les caméras, afin que nous puissions bénéficier, avec l’accord d’Alonzo, de la séance qui allait s’ensuivre.

« Sire ! Quoi donc vous amène céans de si bon matin ? », s’enquit le psychiatre. « Oh ! Que je voudrais avoir les cheveux gras et épais, la lippe gourmande et l’air efféminé ! » couina le roi, « ou alors porter un chapeau, avoir la peau sombre et les incisives du beau nœud-nœud-neur, contempler la France du haut des montagnes suisses… Avoir été champion de tennis ! » Tromondada eut brièvement l’air éberlué, mais, se reprenant : « Mmmm… Je vois. Installez-vous sur le divan et détendez-vous. » S’ensuivit un moment de silence, puis le monarque susurra : « Beau dès le matin, beau su’l’midi, encore beau le soir. » Et tout soudain il se recroquevilla en hurlant : « Les corbeaux ! Les corbeaux ! Ils volent en vol noir sur Le Pen ! Autour, autours, vautours ! » Alonzo grommela à notre intention : « Et paf ! Un nouveau délire ! »

« Oh mais ! reprit Soliveau, heureusement nos militants de l’éducation nationâââle tiennent les lycéens ! Vous avez vu, hein, docteur ? Ils n’étaient que cinq cents mais pour un prompt renfort,  des garçons en jupon se retrouvèrent cinq mille à confondre les corps, et ils ont fustigé les corbeaux ! » La Conscience ricana : « Freud serait content : après l’Homme aux Loups, voilà l’Homme aux Corbeaux ! » « Yes, Docteur Freux, répondis-je, mais cinq-mille ! Leurs troupes sont réduites à rien, eh eh ! Et c’est très bien ! » Tromondada : « Des corbeaux ? Que nous vaut le genre Corvus ? » « Les Corneille ! Le Cid ? l’Acide, Alcide ! » « Fort bien, rétorqua le psy, que vous suggèrent ces animaux ?»

Le roi eut un hoquet, puis dit d’une voix éteinte : « C’est des négrophages ! Ils veulent bouffer … Bouffer… » « Manger quoi ? », le pressa Tromondada. « D’abord mes chers immigrés, dit Soliveau d’un ton lugubre, et ensuite se repasser… Non, repatasser… Non… chais pus ! » « Se repaître ? » suggéra Alonzo. «C’est ça ! Se repaître de nos précieux corps socialistes ! » Tromondada nota sur son carnet : « Complexe de dévoration par la Morrigan celte. Pulsion morbide », puis : « Vous souvenez-vous, Sire, lorsque ces animaux surgirent ? » «C’est Biolet qui les a trouvés ! » « Bon, fit le psy, comment donc ? » « À cause du chant des Artisans… Le vol noir des corbeaux sur nos plaines… ». J’enrageais ! Cette navrance gauchiste avait en effet détourné le Chant des Partisans contre le peuple. « Et vous sentez que les corbeaux sont là ? » demanda innocemment Tromondada.

« Vi ! Mais y sont pas seuls ! Y a des traîtres ! » « Ah ! Qui donc trahit ? » « Valse-à-trois-temps, bien sûr ! Depuis qu’il est premier ministre, c’est comme si je n’existais plus, il n’y en a que pour lui, on me fait grise mine en Europe, et même des sagouins le préfèrent à Moi comme candidat en 2017 !  Trois sur cent, on me donne ! », gémit le monarque. « Donc le peuple ne vous aime plus ? » « Mais… Il ne m’a aimé que le temps d’une élection,  se lamenta Soliveau. Et voilà qu’il balance les fââââchos aux premières loges. Merdre ! Après tout ce que j’ai fait pour lui ! Et pis les Loges, parlons franc-mac, c’est notre affaire, non ? » « Je ne vous contredis point, ironisa le psy, mais qui sont ces sinistres fâchos, comme vous les appelez ? » « Ben tous ceux qu’on pas voté pour nous ! Et aussi ceux qu’ont voté aussi pour … Pour… Arghhhhh ! »  Manifestement, le patronyme de Mme Marine ne passait pas sa glotte. Alonzo n’insista pas, le fait étant patent. « Heureusement, il y a BioLait et Yannick Allah-Noah ! » se réjouit brièvement le roi. « Mais quand-même, poursuivit-il, ils me ruinent, ces salauds de français ! Je perds, puisque l’État c’est Moi, 4 milliards neuf cent millions d’impôt sur le revenu, 6 milliards quatre cents millions d’impôt sur les sociétés, 5 milliards sur la tva, tout ça en moins sur les prévisions ! Ils le font exprès de se mettre au chômage, de travailler au black, de déposer des bilans, de ne pas consommer ! Merdre ! Tout ça pour m’embêter ! C’est de la trahison ! Et voilà qu’ils votent très mal ! » Disant cela, le monarque se tordait les mains et affichait un horrible rictus déformant ses traits déjà pas trop sexy. « Il n’a jamais entendu parler de la courbe de Laffer, dit La Conscience, trop d’impôt tue l’impôt ! »

« C’est horrible, poursuivit-il, j’en fait des cauchemars ! » Tromondada, jusque-là blasé, dressa l’oreille : « Décrivez-moi cela, Sire ! ». En même temps, il arrangea la lumière de telle manière que le roi seul fût visible, cabotin devant une salle obscure.

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit, commença Soliveau, ou plutôt le jour venait de s’obscurcir. Nous retraitions depuis des mois, et la dernière bataille avait conclu partout l’échec de nos armes… » » « Bon Dieu !, fit La Conscience, serait-ce la Pharsale ou bien Les Châtiments ? » « … Ma vieille garde aussi se traînait en savates, épuisée de courir pour se tirer des pattes. Du flot populacier, c’était bien dégueulasse, je voyais s’avancer la monstrueuse face. ! » Le roi d’un air effaré guettait l’obscurité et parlait en se tordant les bras. « …… dans le brouillard épais qui les cachait à peine, je voyais s’avancer les armées de Le Pen, secondées des tribus de l’antique UMP, et partout rôdant sur le champ de bataille, les francs-tireurs sabrant et d’estoc et de taille ! »  Éberlué, Alonzo Tromondada ne put que noter : « Il est totalement gerbé ! »

« Je rameutais mes gens pour défendre chicanes, redoutes et fossés, créneaux et barbacanes. Montèrent les Fainéants, Assistés, Bras-cassés, ces vaillants invalides bien nourris de l’impôt, que de nos syndicats les glorieux généraux menaient à la mitraille. Suivaient les Claquedents survenus de l’Afrique, portant coran, turbans et brandissant des piques. Je gardais en réserve une armée de pervers conduits par Pranduron… » Nous fûmes surpris, La Conscience et moi, de cet étrange nom, mais nous vîmes le psy noter : « Pranduron : éponyme des pervers. ». « … Mon encombrant second, Valls à la courte houppe, allait de tous côtés, galvanisant nos troupes. Mais de l’Abstention les milliers de cohortes demeuraient l’arme au pied, trouvant trop ridicule d’entrer dans la mêlée se faire botter le cul. » « Il n’y a pas à dire, commentais-je, ce tableau hugolien pourrait bien être épique ! » Nous rigolâmes franchement, La Conscience et moi.

Cependant Soliveau roulait des yeux, ouvrant tout grand la bouche, tel un masque de tragédie antique : « Les trompes médiatiques entonnèrent bientôt des hymnes soviétiques, ponctués de couplets fustigeant les fascistes, puis le canon tonna. On se battait partout, nos rangs étaient fauchés, pressés de toutes parts les meilleurs reculaient, les anciens de Jarnac, ceux de Solférino, les seigneurs de Bercy et de l’Urba-Graco gisaient vaincus aux mains des populistes et des lointains enfants de l’époque gaulliste ! » Et le roi raconta que venant de l’ouest un corps de troupes s’avançait : soudain joyeux,    il dit « Pranduron ! » Mais c’était Mélanchon. « L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, déplora Soliveau, je vis sur le pays un à un coucher mes oriflammes. Je voyais sur la plaine mes grognards étripés, becquetés d’affreux freux, choucas et corneilles. Un râle d’agonie venait à mes oreilles, il ne me restait pas même sept reitres sur cent. La Déroute, géante à la face effarée, de son ombre barra tout le champ de bataille, criant : Sauve qui peut ! On se taille !» Le monarque se tut.

« Et que s’est-il passé ensuite ? » questionna Tromondada. « Hum… Pour ne pas être pris, en catimini  je regagnais Paris avec ceux de ma suite, plus ou moins bien remis de ma terrible fuite, après que  mon caleçon eut essuyé des fuites… Bref, je me suis retrouvé grosjean comme un pantin errant à poil, tout nu, sur la Chaussée d’Antin ! » Le psy nota : « réaction somatique affectant les sphincters, et à nouveau l’obsession de se retrouver nu et vaincu. » Comme l’illustre patient ne manifestait pas pour l’instant d’agitation dangereuse, Alonzo le laissa partir après lui avoir prodigué quelques propos lénifiants, puis vint nous rejoindre. « Je crois bien, lui dis-je, que la poire est mûre et va bientôt tomber ! » « Tu parles !, ricana La Conscience, il va s’accrocher aux racines ! » «Ce serait logique, Alfred, expliqua Alonzo, un paraphrène tentera toujours d’aller jusqu’au bout de sa mission délirante. En tous cas, il est de mon devoir d’informer le Sénat de cet état morbide. » Puis il ajouta pour lui-même : « Tendance nouvelle au lyrisme versificateur… Oh ! Le beau cas ! »

Ouais… Mais devant le  vide politique actuel, on se demande ce qu’il peut arriver. Parfois, j’en viendrais à regretter ma banquise natale, n’était-ce le charme des fleurs du mal que l’on cueille à Pigalle !

Alfred.

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