La vaudou est toujours de bord

RVB de base« Alors, nous dit Alonzo Tromondada, notre ami psy de l’Élysée, il s’est assis à son bureau et a allumé son téléviseur à écran géant. Je n’avais pas pris garde à sa tenue, lorsqu’il était entré, mais en le regardant, j’ai constaté qu’il avait revêtu le maillot de l’équipe de France et s’était peinturluré le visage de tricolore. Je décidai d’enregistrer la scène, et la voici. »

Le Roi était en effet affublé comme on l’a dit. Il étala un plateau-télé sur le bureau, près duquel il plaça un pack de Kro, une crécelle, un Ken de chez Barbie habillé en footballeur français. Tandis que le commentateur blablatait avant le coup d’envoi du match, Soliveau tira d’un tiroir un coffret dont il sortit avec précaution une poupée d’envoûtement. Celle-ci semblait représenter assez grossièrement la Chancelière Merkel, vêtue du maillot de l’équipe d’Allemagne. Il la jucha sur le coffret, la flanqua de deux chandelles noires qu’il alluma avec un briquet surnommé Mamadou (c’était gravé sur le boîtier). Il sortit ensuite un étui d’où dépassaient des aiguilles acérées.

« Le vaudou du veau pas doux ! » ricana La Conscience. Cependant, le monarque imposa ses mains sur la poupée en psalmodiant : « Par Bèzléputh, par Hachutt, par Hexample, les trois démons, que les Teutons soient pulvérisés et que le dieu Blakblanbeur connaisse la gloire. Et moi avec. Je le veux ! Je le veux ! Je le veux ! ». Nous nous regardâmes, consternés : « Les manigances du sorcier, dis-je, décidément il aura tout essayé. » « Oui, commenta Tromondada, il a de la suite dans les idées délirantes : après les mantras sur la courbe de chômage et la sortie de la crise, il est passé carrément à la magie noire. » Ayant terminé son incantation, le roi planta une aiguille dans un mollet de la poupée : « Na ! Bien fait, comme ça tu courras pas vite ! » jubila-t-il.

Après le coup d’envoi, Soliveau agitait frénétiquement sa crécelle à chaque action offensive des Bleus, en braillant « Allez-les-Bleus ! Allez-les-Bleus ! », comme un supporter en goguette. En même temps, il décapsulait force canettes qu’il vidait d’un trait et jetait sur la moquette. La chose alla jusqu’à ce que l’Allemagne marque LE point. Le roi parut suffoquer : « Coââââ ! coassa-t-il, ils ont osé, ces sales Boches ! »  De rage, il piqua la poupée au droit du nombril : « Tiens ! Prends-ça ! Ça t’apprendra ! » Il serait fastidieux de relater tout le match, mais remarquons tout de même que chaque fois que les buts allemands étaient menacés, il piquait une aiguille, en murmurant « gardien mutin, gardien taquin, par les poils de mon chien, que l’équipe de Gaule atomise le goal ! » Il faisait de même lorsque les Allemands approchaient des buts français, psalmodiant cette fois : « Belzéboutt, mets-les kaput, Krapott, capote ! »

Le monarque était fort désappointé, à la fois de l’échec de son équipe et de celui du vaudou. Alors qu’il ne restait plus guère que quelques secondes de prolongation du match, la poupée n’était plus qu’une boule d’épingles. Nous remarquâmes qu’à l’occasion, il s’était lui-même maladroitement aiguillé la main gauche : « il est insensible, expliqua Alonzo, le délire l’a anesthésié. Ou alors… C’est un retour de l’auto-mutilation». Au coup de sifflet fatal, Soliveau lança avec violence le reste de son pack de bière contre l’écran qui se mit illico à fumer avant de périr.

Le roi demeura un moment prostré. Puis il s’empara d’une paire de ciseaux, et se mit en devoir de découper son short en lanières : « foutu mon défilé triomphal du 15 juillet ! L’est touti fouti ! Papââââ ! Eh ben j’irai pô le 14, na ! Ces cochons de Bleus m’ont trahi ! Ils ne méritaient pas un entraîneur tel que moi.  Vilains ! Méchants ! Fainéants ! » En même temps, son short étant en lambeaux, il lacérait son maillot. « Et pis c’est pareil des Français, y m’aiment pôôô ! Taxe ! Taxe ! TAXE ! ». Puis Soliveau entreprit de démembrer avec application le Ken footballeur, prenant soin d’en mâcher chaque pièce. « S’il avait fait de ce personnage l’effigie du dieu Blackblanbeur, dis-je, ne serait-ce pas une sorte de hiérophagie ? » « C’est possible, répondit le psy, mais alors manger un dieu, dans son cas, c’est de la vengeance. »

Après avoir observé une période de repos consacrée à sucer son pouce, le roi insulta la poupée : « Ah ! Garce infâme ! Walkyrie au schnaps ! Bretzel liquide ! Tu m’as humilié une fois de plus ! Moi qui lève l’impôt, toi qui rafle la mise ! Miserere ! Miserere ! » Puis il s’effondra : « C’est toujours comme ça ! pleurnicha-t-il, les Boches ils nous flanquent toujours la pâtée ! C’est pas zuste ! » Alors il prit la poupée de cire et la mit à fondre à la flamme des chandelles : « Tiens ! Tiens ! Voilà le sort que je t’ai réservé ! » Mais, maladroit, il ressentit la brûlure de la cire fondue sur sa peau de lézard triste : « Ouille ouille ouille !, couina-t-il, c’est qu’elle me mord cette brute ! » Il l’expédia dans la corbeille à papier, or comme la chandelle allumée la suivit de peu, le feu se propagea au numéro de Penthouse qui gisait dans la poubelle. Le détecteur de fumée retentit un instant, puis les sprinklers déversèrent sur l’infortuné monarque une pluie violente. Ecœuré, Soliveau quitta précipitamment son bureau, comme un barbet sortant du ruisseau.

« C’est tout de même beau, la technique, commenta La Conscience, l’hydrothérapie à domicile ! » « En effet, observa Tromondada, nous pouvons passer directement à la seconde phase du traitement. » Puis, pointant vers moi un doigt inquisiteur : « Alfred ! Jure-moi que tu n’as pas bricolé les sprinklers ! » Je pris mon air le plus angélique possible : « Moi ? Commettre un crime de lèse-majesté ? Jâââmais ! » « Meuh non ! se gaussa La Conscience,  il n’a fait que se poser en auxiliaire de la psychiatrie. » En tous cas, devant le désastre, j’aurais bien parié que le roi ne serait pas très heureux avec sa conférence sociale de cette semaine. Et j’aurais gagné !

Alfred

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