La phobie administrative

Démovore SmallM. Thévenoud a évoqué une « phobie administrative » pour justifier de ne pas avoir déclaré ses revenus ni payé ses loyers et ses amendes. Et demi-habiles de se gausser : quoi ! « Je peux vous assurer que cette peur de la paperasse ne figure pas dans la littérature psychiatrique, pourtant très riche» dit doctement un carabin de Bichat. Évidemment, le prétexte d’une phobie administrative venant de la part d’un personnage plongé dans la paperasse étatique, a de quoi surprendre. Cependant…

Comme d’habitude, les Diafoirus et la presse qui les relaie ou les précède racontent n’importe quoi à propos de la phobie. Ils inventent autant de phobies qu’ils constatent de cas, sans jamais comprendre ce que c’est. Ne parlons pas des imbécillités idéologiques véhiculées par le suffixe –phobe mis en suffixe comme dans homophobe ou islamophobe : elles ne méritent même pas d’être mentionnées. Mais des phobies,  la littérature psychiatrique –qui n’est généralement rien d’autre qu’une littérature- en regorge : agoraphobie, butyrophobie,  … , mais l’hydrophobie, elle, est symptôme de la rage. La phobie est une, c’est-à-dire qu’elle ne se décline pas en une multitude d’objets phobiques ; c’est une névrose, cliniquement constatable au fait que le patient est comme bloqué dans une situation particulière et cherche à fuir. L’hystérique de conversion, lui, cherchera au contraire des détours et subterfuges.

Or il est relativement courant de rencontrer des personnes ayant des comportements en apparence phobiques. Un homme que je connaissais ne pouvait s’approcher de sa boîte aux lettres sans angoisse, et avait résolu le problème en s’armant de courage une fois par semaine pour relever son courrier. Mais il n’est pas rare non plus de guetter le passage du facteur et de pousser un soupir de soulagement lorsqu’il ne s’arrête pas : « pas de nouvelles, bonnes nouvelles. » La vue d’une enveloppe à l’effigie de la République en inquiète plus d’un, et plus d’un use de procrastination en faisant sa déclaration de revenus au dernier moment. Quelquefois, les papiers de ce genre demeurent enfouis au fond d’un tiroir ou d’une corbeille. Cela ne concerne pas, d’ailleurs que les seuls documents d’État : les relevés de compte bancaire, les réclamations pour des impayés et ainsi de suite font partie des objets phobogènes. Il n’est pas jusqu’au téléphone ou à la messagerie Internet qui ne provoquent des angoisses et blocages.

Si l’on prend la peine de regarder l’affaire de près, on constate que ces objets phobogènes relèvent des rapports sociaux, dont ils ne sont en fait que des appareillages. La belle lettre parfumée n’a certainement pas le même effet que la sommation à payer. Faisons donc l’hypothèse qu’en réalité, ces comportements phobiques pourraient bien être dus à une défense compensatoire contre une pathologie de cette faculté purement humaine qui nous fait homo politicus, l’homme social. Autrement dit : la compensation d’une psychose – la véritable cause – par des épisodes névrotiques de type phobique. La détérioration des rapports sociaux, ici, est consécutive à un enfermement de type schizophrénique dans la structure : l’Autre (l’État, le créancier etc…) est alors typiquement « envahissant », et cette ingérence  est vécue comme menaçante pour l’intégrité de la personne. Par conséquent l’envahisseur et les objets qu’il envoie apparaissent comme des figures féroces qu’il faut conjurer par le blocage : on les cache, on les brûle, on les délaisse.

Cela n’a donc rien de très particulier ni d’extraordinaire. Il faut même admettre qu’en ces temps où l’État est tellement spoliateur, qu’il pratique tellement l’anthroponomie (il viole sans cesse l’intimité de la vie des particuliers en édictant des règlements et comportements qui, en temps normal, ne relèvent que de l’autonomie des citoyens), tellement injustement répressif à l’encontre de ceux qui ne se risquent pas à contester ses lois, que tout ce qui vient de la puissance publique tend à devenir ipso-facto figure féroce. Il est même à parier qu’avec l’aggravation de la mainmise étatique sur toute la vie des citoyens, on verra se multiplier les compensations phobiques. Avec les actes administratifs pour objets phobiques.

Donc les demi-habiles devraient retourner sept fois leurs méninges dans leurs crânes avant de ricaner.

Sacha

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