Naïfs et margoulins

Si le passé n’existe plus mais laisse des traces, notamment quand il s’est perpétré sagouineries et méfaits, l’avenir a pour particularité qu’il n’existe pas. Bien fou est donc celui qui prédit de bonne foi. Bien naïf est celui qui croit aux prédictions. Mais il y a là les ingrédients pour une vaste escroquerie, comme on peut le constater. L’escroquerie la plus évidente, bien sûr, ce sont les religions qui disent tout et son contraire. Joli moyen pour des castes sacerdotales de vivre dans l’abondance aux crochets d’ahuris de croyants sans en foutre une rame.

Quand surgit le prédicant, sur ses pas vient le forban. Ceux qui n’ont pas la mémoire courte se souviennent sans doute du fameux « bug » de l’an 2000 qui devait flanquer à terre toutes les bases de données informatiques. Des margoulins vendirent à prix d’or de prétendus logiciels correcteurs. Et pourquoi pas des bidons d’eau de Lourdes, aussi ?

L’art de la divination s’appelle la mantique : l’assonance est remarquable avec le mot mensonge. C’est curieux comme les hommes s’accrochent à la mantique en croyant pouvoir éviter l’aléas. Aussi la mantique a-t-elle ses professionnels, notamment les futurologues dont quelqu’un a dit en s’amusant qu’à les écouter on est sûr de connaître ce qui ne se passera pas. Exemple : feu Georges Pompidou demanda à un groupe américain d’étudier le devenir économique de la France, en se basant sur, il est vrai, la saine économie qui régnait en ce temps ; en conclusion, le rapport prédisait que la France allait devenir le pays le plus puissant d’Europe. Force est de le constater…    :(

Les filous ne sont jamais à cours d’idées pour exploiter le filon. Quand la fin du monde prédite par les religions vulgaires se montre décidément trop lointaine, on fouine dans les archives des archéologues. Et l’on déniche chez les Mayas une prédiction magnifique : la fin du monde, c’est pour le 21 décembre 2012. Pour ma part, je prédis que la France, à cette date, sera déjà morte du fait du retour au pouvoir des socialistes, mais là n’est pas la question. Ce qui est extraordinaire, dans cette vaticination de pacotille, c’est que les Mayas, qui très probablement ne connaissaient pas davantage l’existence de l’Ancien Monde que nous ne connaissions l’existence du Nouveau, auraient prévu que malgré tout un petit coin du monde serait épargné, très précisément la commune Française de Bugarach, dans l’Aube. Balèzes, ces devins, qui connaissaient le découpage administratif de la France après la Révolution ! Mais quel est donc le bandit qui a bien pu inventer cette arnaque géante ? Credo quia absurdum, disait le philosophe : le naïf, lui, plus c’est hénaurme, plus il croit.

Le couple trompeur-naïf, en l’occurrence, fonctionne à perfection. La commune ayant quelques habitants avisés flairant l’aubaine, quinze maisons sont en vente, quatre fois le prix normal ; qui en blâmerait les propriétaires, puisque l’imbécillité se paie ? En même temps, soulevant l’inquiétude du premier édile, une faune curieuse envahit la commune : organisateurs de « stages ésotériques », « thérapeutes » en tous genres, « survivalistes », adeptes du « new age » en quête de « méditation cosmo-sidérale », bref : une bande de sectaires se prenant pour des sphinx. Parions que des sommes considérables sont versées dans l’escarcelle des margoulins par cette foule d’ahuris en robes blanches, qui se réfugient dans les grottes pour « méditer », fréquentent des lieux réputés « magiques » et font l’ascension du pic de Bugarach. Ce pic, d’ailleurs, est considéré par quelques fous comme un garage à ovnis ! D’autres abrutis l’escaladent pour, selon eux, découvrir leur vortex.

Et voilà encore un détail qui nous renseigne sur une autre variété d’escrocs, les écolos : figurez-vous que des yourtes sont apparues sur le territoire de la commune. Or vivent sous ces peaux de biques, peut-être dans l’odeur suave du beurre de yak ranci, des écolos mummumant des chants « indiens » et pratiquant ce qu’ils appellent la « communication non-violente » : ils ne croient pas à la fin du monde, mais ils prônent celle de notre monde industriel. Ben voyons !

Je regrette de ne pas être assez fortuné pour aller sur le terrain, faire une analyse anthropologique in vivo dans une population de gens manifestement dérangés : la pathologie nous renseigne sur ce qui, des facultés humaines, ne fonctionne plus et nous permet de faire des hypothèses sur le fonctionnement normal. Je n’exclus pas, d’ailleurs, d’y faire un saut durant l’été ; il me faudra renoncer à visiter ma coiffeuse préférée, ne plus me laver, porter une robe blanche en laine de mouton ou de lama, pour passer inaperçu, remplacer le nylon de ma tente par de la peau de bique, mais je me demande comment dissimuler une caméra et mes carnets de notes. Alors, je prie le Maire de Bugarach de ne pas chasser tout de suite les importuns candidats à l’Arche de Noé : d’une part, leur présence doit bien rapporter un peu d’argent à la Commune, beaucoup aux administrés faisant commerce, d’autre part je serais désolé que les intérêts de l’anthropologie soient lésés si, tout soudain, disparaissait mon corpus de dingues.

Enfin, bref : nous sommes au XXIe, paraît-il, mais le vieux fonds d’irrationalisme de l’humanité est toujours là. Plus que jamais, pourrait-on dire, en contemplant ce désolant spectacle de la naïveté : le ventre est fécond d’où va sortir la bête immonde de la théocratie islamiste. Et ceci n’est pas une prédiction.

Sacha.

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