En lisant Paul Cambon

chicoree-schiappa-smallIl est bon de lire de vieux livres. La lecture de Maurras m’a renvoyé à la Correspondance de Paul Cambon (1), premier Résident de France en Tunisie puis plusieurs fois Ambassadeur, en tous cas une figure importante et influente de la IIIe république (Marianne III). Je n’en suis qu’à l’arrivée de Son Excellence à Istamboul en ambassade auprès d’Abd Ul Hamid, mais déjà j’ai une vision assez cohérente du fatras qui devait conduire Marianne III au massacre des Français en 14-18 et à sa honteuse agonie en 1940.

Monsieur Cambon notait l’incohérence des politiques menées sans suite, consécutivement à l’instabilité d’une Chambre au gré de la versatilité de l’électorat. Un Cabinet gouvernemental était à chaque instant menacé d’être renversé par ladite Chambre, quelquefois pour une broutille, souvent à cause des appétits des hommes et des partis : comment peut-on mener une politique cohérente sur le long terme dans de telles conditions ? On me rétorquera qu’il n’en va plus exactement de même sous Marianne V, puisque sa Constitution protège l’exécutif. Voire ! Tout peut basculer au bout de cinq ans. Et cinq ans, ce n’est pas du temps long. Il me semble, au contraire, que la même gabegie se poursuit sous des habits différents.

J’ai déjà relevé plusieurs passages croustillants quant au jugement des uns et des autres sur cette république, Marianne III, dont celui de Paul Cambon. En 1882, le Nonce dit à Gambetta : « Tous les Français sont comme oune gallina (une poule), ils crient, ils chantent, ils s’égosillent avant de pondre, et quand ils ont bien chanté, il faut qu’ils pondent malgré eux, le général Chanzy a tant répété qu’il s’en irait qu’il a fini par s’en aller sans en avoir envie. » :)

Cambon, la même année écrit : « Il n’y a rien de jaloux et de bête comme les Républicains, il semble qu’on leur ôte le pain de la bouche lorsqu’on nomme quelqu’un à quelque chose. » Bien vu ! En janvier 84, attendant de parler à la Chambre, sous la primature de Jules Ferry, Paul Cambon assiste à une séance de l’Assemblée : « quel bavardage et quel galimatias. » Précision : Cambon était alors républicain « modérée ». En mars de la même année, il note : « M. Jules Ferry ne vit que d’artifices. Sa majorité vote à tout instant contre le Cabinet et elle est incapable d’en former un autre. Une crise ministérielle entraînerait un gâchis épouvantable » (quant à la politique menée en Tunisie). On a beau dire : même le gouvernement du chanoine de Latran, de nos jours, est contraint de vivre d’artifices ; incapable de politique étrangère et de politique tout court, son expédient est les réformes « sociétââââles ».

« Que les fonctionnaires français sont donc routiniers, mon Dieu ! », s’écrie-t-il. Au passage, toujours en 1884 : « Tant qu’il y aura des Arabes, il y aura des vols, des querelles et des coups de feu. » (Il parle de chikayas entre tribus de Tunisie ; pour le reste pas de commentaires.) 1885 : « Ce qui me frappe le plus en toute cette affaire c’est le défaut unanime de réflexion chez les Républicains de toutes nuances. La peur de l’électeur leur fait perdre la tête. » Il évoquait alors l’affaire de Chine et du Tonkin. Mais la remarque est toujours vraie. Puis en novembre de la même année : « les gens qui exposent leur pays à des crises ministérielles devraient bien réfléchir aux conséquences de leurs fantaisies politiques. » N’est-ce pas, Macron ?

J’attends la suite de la Correspondance avec impatience. Mais les vicissitudes politiques de S.E. Paul Cambon, soutenu par les mots et rarement pas des actions gouvernementales courageuses (Jules Ferry semblant l’exception) nous montrent que dès qu’il s’agit des affaires du Pays, l’État, j’entends par là ce qui concerne les trois fonctions régaliennes (Défense, Sûreté, Diplomatie), ne devrait pas être l’objet de fonctions électives. Je l’ai déjà écrit : la démocratie ne doit pas s’emparer de telles fonctions, il faut du temps long et du recul, donc tenir l’État hors de la versatilité des assemblées et de l’électorat. La place de l’administration élective est dans les conseils provinciaux (et non régionaux, qui n’ont pas lieu d’être !) et les conseils municipaux. En revanche, les Lois fondamentales, celles qui concernent l’âme de la société, ne sauraient être modifiées autrement que par référendum.

Nous en sommes bien loin ! Amateurisme, concussion, prévarication, perversion, vassalisation économique et politique à l’Étranger, ethnocide, voilà qui caractérise les gouvernements que s’est imprudemment donnés la France depuis 1981. La Macronie, on a pu le constater en une année de pouvoir, ne faillit pas à la règle même si le geai se pare des plumes du paon. L’incompétence, l’idéologie et la veulerie y sont partout. Avez-vous vu ces ministères-croupions dont les neuf dixièmes sont sans utilité aucune, cette Assemblée de cancres, ces juges qui s’arrogent des pouvoirs politiques, ces danseuses que l’on entretient au prix de la spoliation de ceux qui travaillent -ou ont travaillé pour se constituer une retraite honnête ? Mais ce sont les caractéristiques mêmes des républiques, qui ne sont certainement pas les meilleurs, ni les moins pires des régimes ici-bas ! Ce sont des régimes de bonimenteurs et malfaiteurs. Évidemment, lorsqu’on est tombé tout petit dans cette marmite, l’effet tend à devenir permanent. Voire ! De mauvaises institutions ne demeurent pas au fil du temps.

Sacha

Post-scriptum : l’image introduisant cet article est un peu emblématique. Dommage pour Marlène, sous-secrétaire inutile qui n’a aucune autonomie dans le gouvernement. Si j’avais écrit cet article Hollandus regnans, j’aurais eu le choix entre Bitaura et Belkacem, deux calamités.

(1)  Paul Cambon : Correspondance 1870-1924, tome 1, Grasset, Paris, 1940.

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