La partie « divine » de l’art de gouverner

Diablesse et angeletteMaurras et Cambon : peut-on imaginer personnages plus dissemblables ? Pourtant l’un et l’autre ont montré une intelligence supérieure, décrivant les turpitudes politiques de leur temps et faisant preuve d’une prescience extraordinaire qui fait que les turpitudes et vicissitudes de la scandaleuse gouvernance actuelle non seulement ne nous étonnent pas, mais se révèlent être l’aboutissement d’une sorte de fatum engendré par deux séries causales : l’insanité du système républicain et le caractère à la fois désinvolte et querelleur des Français. Je comprends pourquoi Maurras, impressionné par la clairvoyance de Cambon ait pu parler de « l’admirable Paul Cambon » : « C’était du temps où nous avions à l’ambassade de Londres un diplomate actif et lucide, homme de caractère, de culture et de sens, l’admirable Paul Cambon. » (1)

J’ai déjà cité plusieurs fois l’Ambassadeur. Le 19 mars 1900, Paul Cambon écrivait : «Du vrai si l’on se met à un point de vue absolu, nous n’avons pas d’esprit public, nous tombons de plus en plus dans de mesquines disputes et nous avons un air de Pologne (2) mais toutes ces causes de déchéance ne produisent pas immédiatement leurs effets. » Je pense bien que les effets se font aujourd’hui cruellement sentir. Le 23 mars : « Vraiment les Gouvernements sont bien stupides ». Le 23 juillet 1900, à M. d’Estournelles : « Ce qui se passe aujourd’hui en France n’est pas une question d’administration, c’est une question de Gouvernement. La sottise des gens à courtes vues qui représentent l’élite politique du pays a été de ne pas comprendre cette différence. » Elle n’est toujours pas comprise, et le chanoine de Latran se figure que la France peut se diriger comme une « startup » (3). Cela explique le désaccord fondamental entre les aspirations plus ou moins conscientes du Peuple, qui craint pour sa survie identitaire, et la « gouvernance » qui ne considère que l’économie administrée.

Dans cette même lettre, Paul Cambon fait une remarque fondamentale, qui s’applique parfaitement à notre situation et définit de même ce que doit être un véritable gouvernement, au contraire de ce qu’il constatait et que nous subissons : «En France où n’existent ni hiérarchies, ni corps constitués, ni libertés locales, où la centralisation s’accentue de jour en jour, le Gouvernement responsable de tout doit refléter et harmoniser dans la mesure du possible les nuances de l’opinion. Toutes ou presque toutes les nuances de l’opinion. Gouverner pour la moitié plus un des électeurs c’est faire du gouvernement sectaire et se créer une situation précaire, celle que nous voyons aujourd’hui. » Vérifiez, je vous prie. Dès qu’un gouvernement d’État fait du « social », des « lois sociétâââles », de l’économie, prétendant être à la fois le Timonier et la Providence, il ne fait que du clientélisme. Surtout, il n’accomplit pas les devoirs régaliens de l’État qui sont de veiller pour tous les citoyens à la sécurité intérieure, à la protection du territoire, à la diplomatie.

Plus loin : « il faut faire concorder les exigences de la Majorité avec les aspirations légitimes de la Minorité, surtout quand cette Minorité est la moitié du pays. C’est très difficile, mais c’est la partie « divine » de l’art de gouverner : faire concourir au même but des efforts divergents. Seulement, cela demande une hauteur de vue, une autorité, un désintéressement que vous ne trouvez nulle part aujourd’hui dans le monde politique. » On ne saurait mieux dire ! Le dernier à s’être essayé à cet art difficile fut De Gaulle : il eut contre lui presque tout le monde interlope des morfalous et dut quitter le pouvoir (4). Tous les autres ont été mandatés par les partis en combinazioni, goinfres avides de places et d’argent public. Voilà qui me conforte dans cette idée maurrassienne : l’État, strictement limité à ses rôles régaliens, s’il veut que tous ceux qui lui délèguent leur pouvoir d’auto-défense bénéficient de son action régalienne, ne doit pas être gouverné selon un principe électif, sinon il ne satisfait que des intérêts particuliers. Le nôtre achète une bien illusoire « paix sociale » faite de grèves, de prévarications, d’émeutes et d’attentats avec l’argent qu’il nous extorque, et travaille à la dissolution du Pays et du Peuple dans un conglomérat ouest-européen mondialiste. Exactement l’action contraire à celle d’un État véritable !

Les vices politiques que pointait Paul Cambon sont toujours à l’œuvre et le processus de dégradation, je le crains, accède à ce stade ultime où tout un peuple est en danger de disparition. Si aucun sursaut n’intervient, nous périrons. « Il faut pour que les révolutions historiques s’accomplissent brusquement qu’un homme de génie surgisse et produise l’effet d’un tremblement de terre ». Les imbéciles pourront toujours dire que tous les hommes sont interchangeables, ce n’est pas vrai, il en est (rarement) de politiquement intelligents. Mais pour le moment, je n’en aperçois aucun. Seuls les débiles profonds ont pu croire que Macron était l’un de ces « hommes de génie » : nous n’avons qu’un petit directeur de succursale bancaire.

Sacha

(1)      Dans Votre bel aujourd’hui, adressé à René Coty président de la calamiteuse Marianne IV, page 1063 chez Robert Laffont, coll. Bouquins.

(2)      La Pologne avait pratiquement cessé d’exister à cette date, partagée depuis le XVIIIe entre la Prusse, l’Autriche et la Russie.

(3)      Vous savez combien je répugne à utiliser la novlangue des monopoles mondialistes. Le globish, ou plutôt globeux, startup devrait se traduire par « entreprise en démarrage », mais c’est long.

(4)      Communistes, socialistes, marais centriste, droite dure, De Gaulle le maurrassien avait tout ce monde interlope contre lui. À vrai dire, les seuls qui avaient quelque légitimité à lui en vouloir pour sa politique de redressement national étaient les Pieds-Noirs, et pour cause.

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