Ils ne pensent pas, donc ils suivent

hiboux025Sándor Márai aurait écrit, évoquant la chape de plomb soviétique tombée sur son pays, la Hongrie(1), « Je ne pense pas donc je suis ». Terrible ambiguïté que ce je suis. Ou bien l’homme n’est pas une res cogitans, une chose pensante, ou bien le fait de ne pas exprimer une pensée, voire de s’interdire d’en avoir, lui permet de demeurer en vie sous un régime totalitaire. La seconde hypothèse vaut aussi dans le cas du totalitarisme mou. Non qu’en pensant l’on risquerait la mort physique, sous la tyrannie ubuesque de la correction politique, encore que l’ennemi civilisationnel puisse aboyer la fatwa pour peu qu’on le titille à cause de ses penchants au carnage, mais l’on risque à coup sûr, en énonçant tout haut sa pensée intime, de mourir socialement.

C’est, rappelons-le, ce qu’expliquait Alexis de Tocqueville dans De La Démocratie en Amérique : « Vous êtes libre de ne pas penser comme moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l’accorderont point, et si vous demandez leur estime, ils feindront de vous la refuser. Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. »(2).

Cette mort sociale guette, dans notre système orwellien, ainsi que le montre avec tant d’obscure clarté la meute de chiens politiquement corrects lancée contre Éric Zemmour qui n’a fait qu’énoncer des faits réels dont l’existence est constatable. Pour oser penser, le lanceur d’alertes pourrait bien ne plus être, du moins certains sycophantes s’acharnent-ils pour qu’il en soit ainsi. Pourtant le réel s’obstine, puisque voici qu’un salafiste infiltré à la Préfecture de Police parisienne vient de perpétrer un quintuple meurtre au nom de sa croyance fanatique, donnant ainsi raison à Éric Zemmour. Voilà qui cependant n’importe point aux gens du système, pour qui le réel n’existe pas et que seuls existent les produits de leur cæliodoxie (3).

Voilà qui amène à soulever une autre hypothèse à propos du je ne pense pas donc je suis. Et si je suis n’était pas le verbe être, comme dans cogito ergo sum, mais le verbe suivre ? Au plat non cogito ergo sum, se substitue alors non cogito ergo sequor qui pourrait être la devise des moutons de Panurge. Car comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous jours suyvre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dict Aristoteles, lib IX, de Histo, animal, estre le plus sot et inepte animant du monde. (4)

Suiveur, voilà l’être de ceux qui ne pensent pas. Le sage doit à plus d’un titre s’inquiéter de cette inconséquence moutonnière. Ces temps derniers, nous avons souffert du spectacle affligeant de nuées de béjaunes lycéens battant le pavé sur l’injonction d’une enfant cyborg hurlant sa peur irrationnelle et millénariste d’une catastrophe climatique causée par l’activité humaine. Rien, sinon les effets pervers d’une habile propagande, ne justifiait autant de sottise, pourtant non seulement de jeunes étourdis ilotes illettrés, mais encore des gens faisant profession de politique ont suivi. Demeurent dans l’ombre ceux qui n’en croient rien tout en faisant mine de croire et attendent leur heure.

Car le conformisme est réellement catastrophique lorsqu’il s’empare des masses humaines sous la houlette de démagogues nullement innocents, mus qu’ils sont par de sordides intérêts. Le Parlement nous offre le triste exemple d’une majorité bestiale suivant aveuglément le projet du maître du moment ; qu’un député soit honnête et se montre hétérodoxe, il est illico exclu du groupe et condamné au silence. Personne ne bêle de rage lorsqu’un président de l’Assemblée viole les principes démocratiques en déclarant adopté un amendement visiblement repoussé par une majorité de votants. L’on suit Ferrand sans penser plus loin que le bout de son portefeuille, sans se demander si éthiquement l’on a le droit de condamner des enfants à n’avoir pas de père.

Non cogito, ergo sequor ! L’on s’entasse dans les villes criminogènes et l’on s’abrutit avec les Ipods. L’on suit ceux qui banalisent les perversions. L’on suit ceux qui nous privent de notre souveraineté. C’est la mode : il ne faut pas penser, il faut seulement suivre en hurlant des slogans. Ce regrettable comportement est voulu par ceux de l’ombre et induit par l’école et les médias de propagande ; rien n’échappe à l’entreprise de décérébration universelle. L’ilote est non un citoyen, mais un sujet, un assujetti du roman d’Orwell, une aplysie s’interdisant de penser.

Descartes est mort, et je ne vois pas poindre une lueur de raison dans une France elle-même morte. La prochaine étape ne serait-elle pas un retour à l’état sauvage et barbare ? La Raison ne demeure plus que chez le petit nombre de ceux qui refusent l’asservissement, qui pensent donc ne suivent pas. Ne perdons pas espoir : il n’y eut en 1428 qu’une poignée de seigneurs pour croire en Jehanne. On connait la suite. Peut-être des évènements catastrophiques feront-ils revenir les suiveurs du Joueur de Flûte à la réalité et à la raison ?

L’imprécateur

(1) Sándor Márai, Journal des années hongroises 1943-1948 chez Albin Michel.

(2) Alexis de Tocqueville, De La Démocratie en Amérique, De l’omnipotence de la majorité, éd Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris 1986. Pages 246-247.

(3) Une cæliodoxie est une doctrine creuse, une idée sans consistance.

(4) Rabelais, Quart Livre, éd Les Belles Lettres, 1959, page 50.

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