Impossible pensée libre

Alors que les sondages – opérés sur des échantillons quinze cents zozos, ce qui en dit long sur leur fiabilité et leur rôle manipulateur – annoncent une catastrophe prochaine avec l’avènement de la pire « gauche » que nous n’ayons jamais connue, je me pose la question sur le devenir de notre civilisation. Elle est à l’agonie, subvertie par une civilisation de bédouins pillards à qui des pervers intellectuels ont ouvert largement les portes de la Cité.

Ces malades de l’esprit ont réussi à dépraver les principes fondamentaux sur lesquels était fondée notre civilisation, et ont instauré un règne inquisitorial, celui du « politiquement correct » où toute pensée autonome, disons « libre » pour être mieux compris, même si ce n’est pas de liberté axiologique qu’il s’agit. Notamment, les pervers reconnaissent à l’envahisseur un « droit à la différence » que lui-même nous conteste au nom d’une religion sommaire et primaire.

Voilà qui pose la question à la fois de la « libre-pensée » et de la « pensée libre ». Dans le premier cas, il s’agit d’une pensée comparable à celle du Sisyphe d’Albert Camus qui « nie les dieux et déplace les rochers » ; conquête de quatre siècles, que l’ennemi civilisationnel et ses complices travaillent avec rage à anéantir. Quant à la « pensée libre », elle ne peut l’être qu’en s’abstrayant de l’heure et du lieu : elle se veut atopique (hors du lieu) et achronique (hors du temps), c’est-à-dire qu’elle tend à l’universalité. Soyons plus modeste : elle tend à transcender l’Histoire de nos civilisations occidentales, de telle manière qu’Héraclite, Socrate, Sénèque, Thomas d’Aquin, Ockham, Shakespeare, Goethe, Hegel, aussi bien que chez nous Rabelais, Bossuet, Diderot, Voltaire, Châteaubriand, Tocqueville -pour ne citer ceux qui me sont familiers- nous « parlent » par-delà les siècles. Cette pensée-là constitue le fonds de notre culture, et c’est en cela qu’elle transcende les siècles, même si elle se trahit – donc se traduit et s’adapte au fil des époques.

A l’inverse, la pensée des petits-maîtres nous enferme dans le quotidien. C’est une pseudo-sagesse au jour le jour. Elle est celle du médiocre médiastre prisonnier de l’advenit – comprendre : du pseudo-évènement propre à faire la une des journaux et le moment dramatique du journal télévisuel. Aussi ne peut-elle-même pas prétendre tirer les leçons de l’évènement, car celui-ci entraîne nécessairement, et pour longtemps, une redistribution de la donne politique. La faute n’est pas à imputer aux moyens techniques que sont les journaux et la télévision, elle s’origine totalement dans les idées et pratiques de la caste politique et de la caste médiatique. Quels merveilleux moyens de culture et de réflexion eussent été ces techniques, s’il ne s’était pas développé des castes perverties pour les exploiter.

Cette exploitation va dans le sens de la consommation. Qu’est-ce d’autre que consommer, sinon détruire ? Qu’est-ce d’autre que de confondre, pour l’édification fallacieuse du « grand public », les ressorts fondamentaux de convention sociale qui font qu’une société peut se définir comme telle en opposition aux autres, avec cette perversion des échanges que l’on peut bien appeler « économystique » et dont le sacro-saint « indice de croissance », les triple-A et autres fariboles sont les indicateurs ? La pensée des petits-maîtres, ces nains de l’intellect, asservit les peuples à l’éphémère du quotidien. Inutile de préciser que cela correspond bien aux attentes des tristes pitres du barnum électoral présidentialiste : tout est organisé de manière à viser le tout-tout-de-suite et masquer ainsi toute réflexion sur le destin de la Nation. Pour le plus grand profit immédiat de la phynance apatride.  Quiconque voit plus loin est ipso facto considéré comme déviant et « politiquement incorrect ».

En lisant « Le Grand Remplacement » de Renaud Camus – à qui des associations délibérément racistes tout en se proclamant « anti-racistes » veulent intenter un procès pour sa participation au Forum sur l’Islamisation de l’an dernier, bel exemple d’inquisition – je rencontrai une réflexion assez proche de celle que je vous livre :

« Une pensée libre, en effet, ne peut pas être aujourd’hui. Anatopique (je préfère, moi, atopique), on l’a vu, mais anatopique par nécessité, une pensée libre est nécessairement aussi anachronique (je préfère achronique), mais anachronique par essence. Elle n’appartient pas au temps présent parce qu’elle appartient au temps. Elle est de la même nature que le temps. Elle n’est pas d’aujourd’hui. » Ce « temps » n’est pas celui de la nature, qui s’en passe, ni celui de la Physique qui en fait simplement un paramètre commode de ses mesures, c’est à vrai dire le seul temps, le temps social, chaque société ayant ses rythmes. Ce temps-là, c’est la récapitulation de l’Histoire. « Or, anachronique, elle l’est particulièrement aujourd’hui parce qu’aujourd’hui n’a jamais été à ce point de l’horizon indépassable de l’homme civilisé. »

Rien ne pourrait mieux montrer cet enracinement dans l’horizon totalement borné du quotidien et de l’éphémère que l’architecture. Ceux qui nous ont précédés construisaient pour l’éternité, et le monument est précisément cet appareillage technique de l’Histoire qui fournit les points de repère. Il nous reste des civilisations les Pyramides, le Parthénon, le Colisée, le Pont du Gard et bien d’autres. Mais aussi les forteresses médiévales, Carcassonne, les Baux-de-Provence, le Palais des Papes à Avignon, les cathédrales, Chambord, Versailles, l’Arc de Triomphe, les perspectives d’Haussmann. J’ai moi-même habité longtemps une rude bâtisse de granit défiant les siècles. Qu’a produit le ridicule âge des petits-maîtres ? Les tuyauteries rongées du Centre Pompidou, l’arche de la Défense qui tombe désormais en morceaux, la ridicule Très Grande Bibliothèque. En visant le World-Trade-Center, les criminels islamiques ont montré combien ces prétentieuses bâtisses de verre, acier et béton, étaient aussi fragiles que  le sont devenues nos civilisations. A croire que les sociétés n’ont que l’architecture qu’elles méritent.

« Nous sommes, écrit Renaud Camus, la première civilisation qui construit des maisons faites pour durer dix ans. Nous sommes la première civilisation qui s’émerveille qu’un pont, un pont magnifique, un pont qui fait la fierté du régime, promette, à quelques lieues à peine du Pont du Gard, d’être encore parfaitement utilisable dans quarante ans. » Ephémère, consommation, profit immédiat, voilà où nous en sommes. J’ai marché sur des ponts bâtis par les Romains, par les gens du Moyen-âge, et qui sont toujours là, bravant les siècles et l’imbécillité de notre civilisation moribonde. Renaud Camus parle du « siècle de la camelote » : des sophistes essaient de nous faire croire qu’acheter de l’éphémère est rentable, et l’on ne cesse d’organiser l’obsolescence. Tel est l’air du temps, qui affecte aussi -et c’est très grave- la pensée, devenue camelote et vendue par des pitres médiatiques.

Les petits-maîtres scélérats avides de pouvoir et de profits immédiats ne peuvent -et ne savent- jouer que sur le quotidien et l’éphémère, alors qu’il faudrait justement penser la perduration, l’avenir et le destin de la Nation. Il manque à ces minus habens intellectuels deux dimensions de l’Histoire : la prise en compte du passé et la projection dans l’avenir. Le quotidien nous tue, comme il finit par triompher de l’amour le plus sincère. Réfléchis à cela, lecteur : le TGV est un symbole d’imbécillité. Et le barnum électoral dont on va te rebattre les oreilles, n’est rien d’autre qu’une pensée TGV : de la bouffissure d’éphémère. Et nous allons en mourir.

Sacha.

 

 

 

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